Le GIEC vient d'approuver le rapport de son groupe de travail sur les conséquences du réchauffement climatique. L'adoption de ce rapport a duré 15 jours : les États membres du GIEC sont en effet invités à discuter le contenu du rapport, demander des précisions, critiquer tel ou tel point.
L'Assemblée du GIEC s'est donc achevée en pleine guerre, après l'invasion de l'Ukraine par l'armée russe. Au-delà du fait que cette guerre n'est évidemment pas étrangère à la question énergétique, la coïncidence temporelle est révélatrice : le GIEC a en effet obtenu le prix Nobel de la Paix en 2007. Le GIEC était ainsi reconnu comme étant un acteur majeur de la paix de l'époque contemporaine.
La lutte contre le réchauffement climatique serait donc une guerre - et le GIEC serait une institution de construction ou de maintien de la paix. Plusieurs précisions sont toutefois nécessaires : la paix ne sera ici pas l'aboutissement d'un compromis entre belligérant.e.s. Il ne s'agit pas de négocier un armistice entre, par exemple, les industries destructrices du climat d'une part et, de l'autre côté, toutes celles et ceux qui sont en première ligne du réchauffement climatique. L'enjeu est ici la reddition de l'industrie fossile : la paix (climatique) ne sera possible que dans un monde dans lequel Gazprom, Total, Exxon, Shell, BP et consorts ne seront plus autorisés à extraire, transporter, raffiner et brûler du charbon, du gaz et du pétrole.

Peut-être peut-on alors en tirer quelques perspectives stratégiques pour soutenir la population ukrainienne (ainsi que les civils Russes qui s'opposent à la guerre).
- La première est, évidemment, de rompre définitivement avec les entreprises russes du secteur gazier et pétrolier. Plusieurs institutions ont annoncé rompre avec Gazprom, qui s'était notamment spécialisée dans le "sports washing" : l'entreprise russe est le principal partenaire de la plus grande compétition européenne de football ; sponsorise quelques équipes majeures dans plusieurs championnats européens ; soutient la formule 1 ; etc. Que ces liens soient remis en cause est une bonne chose - quoique la décision intervienne bien trop tard. Il est évident que le renoncement doit être définitif - et non temporaire, pour la seule durée des opérations militaires.
- Ce n'est pour autant qu'une étape : BP, Total, Shell, etc. ont toutes des intérêts dans des projets fossiles en Russie. BP vient d'annoncer son renoncement à toute participation dans ces projets russes (mais a fourni du carburant à l'armée russe...). Exxon est impliqué dans un mega-projet de l'entreprise publique Rosneft. BP vient de rompre avec cette dernière mais a extrait plus de 400 millions de barils de pétrole grâce à son partenariat privilégié avec l'entreprise - permettant ainsi à la Russie d'accumuler une partie des fonds aujourd'hui utilisés pour financer la guerre en Ukraine. Total n'est pas en reste, étant l'une des multinationales les plus actives dans les projets de forage de gaz en Arctique. Bref : tous les acteurs majeurs des secteurs gaziers et pétroliers, ou qu'ils soient situés, ont leurs mains liées à Vladimir Poutine. Certaines s'en détournent aujourd'hui, mais elles doivent faire face à des sanctions à la hauteur de leur collusion passée.
- Les mobilisations contre la guerre ont historiquement toujours reposé sur des mobilisations ressortant de la "non-coopération" : "pas en notre nom" est l'un des slogans anti-guerre les plus communs. Pas en notre nom, mais aussi "pas avec notre argent". Le boycott, mais aussi le désinvestissement, sont en effet des leviers extrêmement efficaces pour résister à la logique des armes.
Il me semble qu'ici, nous pourrions ajouter une dimension supplémentaire : la socialisation des profits de toutes les entreprises du secteur des combustibles fossiles.
L'exemple de Shell est le plus frappant : 30% des profits réalisés par Shell sont liés à ses activités en Russie. Compte tenu du rôle joué par Total, Exxon et BP en Russie, il serait surprenant que les ordres de grandeurs soient différents dans leurs cas.
Socialiser les profits de l'industrie fossile (par une taxe dont les modalités doivent évidemment être précisés) pourrait poursuivre plusieurs objectifs : il s'agit d'abord d'une première sanction envers toutes celles et ceux qui s'enrichissent grâce à une industrie complice de cette guerre (et de nombreuses autres). Surtout, l'argent ainsi levé pourrait permettre trois choses :
- garantir que les plus pauvres ne paieront pas le prix d'une guerre largement provoquée par notre dépendance au gaz et au pétrole. Concrètement : l'argent ainsi récolté permettrait de maintenir les prix de l'énergie à un niveau juste. De fait, le renchérissement du prix du gaz et du pétrole n'est une bonne nouvelle pour le climat que de manière contre-intuitive, dès lors que l'industrie fossile continue à maintenir ses profits à des niveaux indécents - au détriment des plus pauvres, de celles et ceux qui ne peuvent se permettre d'utiliser des moyens de transport ou de chauffage alternatifs
- cette taxe pourrait par ailleurs permettre de financer une accélération du déploiement des énergies renouvelables, et plus encore d'accélérer les politiques d'économie d'énergie. Après tout, la seule énergie compatible avec la paix, c'est celle qu'on ne consomme pas…
- enfin, de manière a minima symbolique, cette taxe pourrait contribuer à soutenir les populations civiles ukrainiennes, ainsi que les Russes qui souhaiteraient quitter le pays pour se protéger de la répression du régime de Poutine.
Il y aurait là une première étape vers la socialisation complète du secteur des combustibles fossiles, qui est seule compatible avec des politiques climatiques ambitieuses.