Ça n'est pas une vie de ne trouver d'écho à notre vive soif, nous assoiffés. Car cette soif n'est pas celle d'un seul, nous l'avons en commun.
Et ensemble il faudra l'assouvir.
Ça n'est pas une vie d'habiter un monde où la beauté ne compte pas et sa puissance et ce à quoi elle sert ou tout au plus comme décor, pour faire passer le goût âcre et pesant de la laideur ambiante, poisseuse et qui prend à la gorge.
Où le mot esthétique est compris dans son sens très petit, ô infiniment minuscule, en le privant de toute force, en l'étouffant.
Où la fragilité n'est pas comprise comme la plus grande richesse, véritable richesse, où l'être, comme un œuf lentement gobé, est peu à peu vidé de sa substance, où l'on sépare la politique de la joie, où l'on félicite chacun de perdre ce qu'il a de plus étonnant. Où. Où l'ignominie est savamment récompensée, comme on récompense et punit les animaux du cirque. Où la triste perversité est confondue avec l'intelligence, même et surtout quand elle est affreusement, lourdement, pesamment, médiocrement, pauvrement, terriblement stupide.
Où la violence des dits puissants leur évite de penser, malheur à eux, car personne on le sait ne pourra l'éviter enfin.
Où la candeur et la fine émotion ne peuvent se cultiver jusqu'à faire éclore les beautés qu'elles recèlent, comme une plante exquise à force de soins prodigués, car elle est piétinée à peine née, sans aucunement réfléchir, non, sans perte de temps.

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Qui le dira ? Personne. Chacun le sait et c'est trop moche pour qu'on le dise, bien trop pénible à reconnaître. On ne le dira pas. C'est la toute puissance des pervers, ceux du pouvoir, leur formidable capacité de destruction et leur esprit chaussé de plomb. Car, oui, ce qu'ils font est réellement incroyable. Pour celle et celui qui sait, comme les enfants d'Afrique, que la vérité est fine et légère et ne peut affronter la laideur, sous peine de devenir comme elle.
Nicolas Roméas
2 décembre 2015