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Acteur culturel, auteur, après avoir fondé et animé Cassandre/Horschamp, Nicolas Roméas fait aujourd'hui partie de l'équipe de bénévoles du site L'Insatiable (www.linsatiable.org) en tant que rédacteur en chef. Il participe également à la nouvelle revue L'Insatiable papier.

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Billet de blog 5 octobre 2025

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La responsabilité d'un rôle et l'ignorance de la presse (Le Figaro et Le Monde)

Dans un texte récemment envoyé à Blast, Serge Halimi rappelle à Charlotte G. qui était sa mère. Il essaie de lui expliquer en quoi c'est une très mauvaise idée d'incarner à l'écran un personnage historique dont on n'a visiblement pas compris les engagements politiques.

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Illustration 1
Gisèle Halimi à la Fête de l'Huma 2008 © Olivier « toutoune25 » Tétard,

Ces engagements, non seulement la comédienne ne les partage pas, ce qui est tout à fait possible, mais elle s'y oppose publiquement. Imaginons un instant l'effet qu'aurait produit une prise de position publique de Sylvie Testud contre les combats politiques de Louise Michel au moment du tournage du film Louise Michel la rebelle. Il est sain et salutaire de rappeler cette contradiction profonde, d'abord à l'attention de la comédienne qui ne semble pas disposer de toutes les informations utiles à l'incarnation de ce personnage. Ce n'est pas seulement pour la mémoire de Gisèle Halimi que c'est très important, par rapport à un large public qui ne connaît pas toujours bien ses prises de position, mais c'est aussi dans l'intérêt de la comédienne. C'est ce que rappelle Serge Halimi dans son texte, que beaucoup n'ont visiblement pas lu attentivement.

Dire que cette incompréhension pose un problème dans le sens où la prise de position publique de Charlotte affichée au même moment, brouille l'image du personnage politique qu'elle s'apprête à incarner et montre l'ignorance qu'elle en a, est plus que légitime de la part du fils de Gisèle Halimi, 

Son texte n'est pas une condamnation, c'est une incitation à une prise de conscience. C'est, à l'attention de Charlotte G. un encouragement - pédagogique et plutôt bienveillant - à comprendre qui était Gisèle Halimi, le personnage historique qu'elle prétend incarner à l'écran et que visiblement elle connaît mal. Comment ne pas percevoir l'effet désastreux produit par l'affichage public de cette ignorance des enjeux symboliques portés par le cinéma - et l'art en général - dans notre société ?

Serge Halimi ne se serait certainement pas engagé - entre autres - dans l'aventure du Monde Diplomatique, si certaines valeurs - et aussi quelques connaissances historiques - ne lui avaient été transmises par la grande militante, dont il connaît les détails du parcours politique. Peut-être en sait-il un peu plus sur ce sujet précis que d'autres, or il n'a pas été consulté.

Charlotte Gainsbourg elle, est une comédienne, visiblement assez peu informée en matière politique et probablement influencée par son entourage, ce qui ne fait pas d'elle une mauvaise personne, mais devrait certainement freiner ses expressions publiques sur des sujets qu'elle ne maîtrise pas.

Il semble en effet qu'elle ait quelques lacunes en matière d'Histoire contemporaine et peu de connaissance en ce qui concerne le combat de Gisèle Halimi en faveur des Palestiniens, ce qu'on peut regretter lorsqu'il s'agit de porter à l'écran le parcours d'une telle personnalité politique. Toute personne de bonne foi peut à juste titre le déplorer.

Un comédien peut jouer n'importe quel rôle, mais dans le cas d'une personnalité contemporaine ayant réellement existé, dont la pensée est très vivante, qui a énormément compté pour beaucoup de gens et de nombreuses causes, il s'agit simplement de ne pas faire n'importe quoi et de porter la responsabilité de cette représentation.

Libre à certains de "défendre" les lacunes et erreurs de la comédienne, ce qui à mon avis ne lui apportera rien. Libre à d'autres de penser que cette ignorance est nuisible au propos qu'un tel film est à même de porter.

Il est très important de ne pas laisser passer cette incohérence. Car l'ignorance peut s'avérer très dangereuse. Si l'image publique de la grande avocate et militante dont le combat n'est pas forcément connu de tous, est aujourd'hui portée par des gens qui soutiennent des idées qui sont, comme le dit Serge Halimi - qui connaît bien sa pensée et continue son combat -, radicalement opposées aux siennes, c'est un héritage politique essentiel qui est falsifié.

Serge Halimi  est évidemment bien placé pour connaître de l'intérieur le parcours et la pensée de sa mère dont il est héritier du combat. Or, il n'a jamais été consulté par l'équipe de ce film. Ce qui, en plus d'être une faute professionnelle, est très certainement blessant pour lui. Et il rappelle ce que tout le monde ne sait pas et que d'autres font mine d'oublier : Gisèle Halimi a, toute sa vie, pris parti pour la cause palestinienne. Il n'a ni le pouvoir ni le désir d'empêcher CG de faire ce qu'elle veut. Il n'est pas l'"ayant droit" d'un auteur, il est le fils de sa mère, fidèle à sa mémoire.

Il ressent simplement le devoir moral de rappeler qui était cette femme admirable : un être entier. On ne peut pas couper les gens en morceaux. Représenter à l'écran une personne aussi courageuse et intègre, en ôtant de cette représentation la part audacieuse et très risquée de ses engagements politiques, en la prenant par un seul de ses "bouts", en ignorant ou niant ses grands combats géopolitiques, ça n'a strictement aucun sens, car tout ce qui la constitue marche ensemble. Ce ne serait qu'une forme de castration morale.

Si elle persiste dans son erreur au lieu d'apprendre de ce faux pas - et de cet échec annoncé -, la production du film dans lequel joue Charlotte fera(it) du personnage de Gisèle Halimi à peu près la même chose que Walt Disney a fait à partir de grands contes initiatiques : de la soupe, mièvre, commerciale et sans force. Ce n'est pas acceptable pour tous ceux qui aiment et admirent le parcours de Gisèle Halimi. Je pense que nous ne devrions pas l'accepter.

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