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Acteur culturel, auteur, après avoir fondé et animé Cassandre/Horschamp, Nicolas Roméas fait aujourd'hui partie de l'équipe de bénévoles du site L'Insatiable (www.linsatiable.org) en tant que rédacteur en chef. Il participe également à la nouvelle revue L'Insatiable papier.

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Billet de blog 25 juin 2024

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Dressage

Les choix politiques de nombreux électeurs n'ont absolument rien à voir avec une réflexion sur la réalité, mais beaucoup à voir avec une profonde souffrance psychologique - ou psychique. Il ne sert à (presque) rien d'essayer de les convaincre avec des raisonnements rationnels qui leur paraissent abstraits.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Aucun apport de connaissance et d'informations ne pourra, à lui seul, changer ces choix. Ils sont avant tout guidés par une immense frustration impensée : une perte du sentiment d'appartenance 1 et donc d'existence. Une frustration parfois transmise de longue date, de génération en génération, qui s'imprime dans les êtres et les conditionne. Et dont l'ignorance et la confusion savamment entretenues par les médias ne font ensuite qu'accentuer les effets.

Dans ces conditions, le geste politique ne peut pas être pensé.

Il n'est qu'une réaction, une tentative de reprendre pieds dans le brouillard - de se raccrocher à quelque chose qui a l'apparence du réel, pour agir contre cette insupportable sensation de manque, de déperdition - sans avoir les mots pour le dire, sans réelle pensée politique, sans tenir compte d'aucune logique. Sans reculer devant aucune contradiction.

Cet obscur sentiment de perte entretient une colère irrationnelle et lancinante, sans objet clairement défini, qui s'accumule à l'intérieur de l'être et, lorsqu'elle explosera, se fixera là où elle peut. Il suffit alors au pouvoir de suggérer des boucs-émissaires.

C'est très au-delà de la raison et c'est cette matière psychologique que les capitalistes et leurs médias travaillent et malaxent en aggravant sans cesse la douleur et la confusion du peuple, en discréditant ses soutiens par tous les moyens et en lui proposant l'extrême-droite comme seul exutoire possible. Ces manipulateurs savent exactement ce qu'ils font, c'est beaucoup plus proche du dressage que de la politique.

Illustration 1

C'est ce qui a été mis en œuvre dans les années 30 2 sur notre continent et c'est, plus récemment, de cette façon que les tenants du règne de l'argent ont fait accéder Trump au pouvoir aux USA et les extrêmes-droites en Europe. Tout cela ne favorise que la toute-puissance de l'argent, mais, malgré les évidences qui s'imposent, cette réalité reste impensée par la majorité de ces êtres confus et blessés. Il faut un minimum de sérénité - et sentir un sol sous ses pieds - pour être en mesure de penser.

Et c'est là, à cet endroit, que, ne sachant par définition se situer que sur le plan des idées et de la raison - en fait d'un bon sens3 auquel seuls les esprits sains sont accessibles -, la vraie gauche est désarmée et donc défaillante. Les âmes douloureuses doivent être rassurées et soignées, au-delà des explications rationnelles.

Il faut ici un élément humain, il faut de la reconnaissance, et aussi un peu de temps. C'est pourquoi le pouvoir agit brutalement et très vite.

Le mouvement des Gilets Jaunes fut une magnifique tentative - forcément maladroite - de retrouver, au-delà des apparents clivages politiques, le sens profond de la colère partagée par tous les opprimés. Ceux qui votaient FN sans réflexion (et ceux qui ne votaient pas) y rencontraient ceux qui pensaient leur engagement à gauche. Et, par ces échanges humains, une vraie réflexion politique commençait à prendre forme, à se construire jour après jour, entre ces gens apparemment si différents.

La rencontre, la discussion, la solidarité, la présence, l'échange de parole quotidien entre des personnes qui auparavant ne se parlaient plus, rendus possible par ce drôle d'uniforme qui abolissait les frontières politiques, permettaient d'avancer peu à peu vers une compréhension commune des vrais enjeux, au-delà des caricatures imposées, des cases politiques asphyxiantes. Le pouvoir a parfaitement bien compris ce phénomène, c'est pourquoi les Gilets Jaunes ont été pourchassés avec acharnement, salis, diabolisés, blessés.

Et l'on voit aujourd'hui comment, avec l'aide active de leurs puissants bataillons médiatiques, les tenants du règne de l'argent aggravent la confusion dans les esprits en massacrant l'intelligence, en détruisant l'échange, en interdisant toute analyse politique de la situation.

Leur but est simple : couper court à toute possibilité de pensée, jusqu'à ce que leurs bras armés d'extrême-droite, leurs chiens de garde, prennent le pouvoir pour imposer le règne de l'argent.

Nicolas Roméas (www.linsatiable.org)

1 - Cette appartenance peut être de divers ordres (de profession, de famille, de culture, de classe, etc.) mais elle est l'un des fondements d'un sentiment d' « identité » (avec tous les guillemets nécessaires) qui permet de se situer un tant soit peu dans le monde. La première raison de s'apprécier soi-même est de savoir qu'on appartient à un groupe humain reconnu dans sa valeur, comme certains membres des classes prolétaires se sont attachés à le faire, dans les siècles passés, pour compenser et tenter de défaire leur situation de domination - en participant à l'émancipation des citoyens. Pour ne prendre qu'un exemple, les artisans typographes qui imprimaient les textes des auteurs des Lumières et plus tard, ceux de la Révolution des 3 glorieuses, qui se révoltèrent aussi contre la mécanisation de l'imprimerie. Ces catégories hautement valorisantes ont été progressivement laminées par le règne de l'argent et de la mécanisation. Elles ne sont pas remplacées, (en dehors de grandes figures politiques et syndicales) dans les classes populaires de la société mondialisée, par de nouveaux éléments d'identification collective permettant de structurer une image positive de soi-même, la seule valeur reconnue étant l'argent. C'est une des raisons de l'importance symbolique du mouvement des Gilets Jaunes.

2 - cf « Plutôt Hitler que Blum » - par Emmanuel Mounier dans un article paru le 1er octobre 1938 dans la revue Esprit. Cet article a été repris à l'époque par plusieurs journaux à consulter dans Gallica, la bibliothèque numérique de la BNF.

3 - La fameuse « common decency » de George Orwell.

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