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Acteur culturel, auteur, après avoir fondé et animé Cassandre/Horschamp, Nicolas Roméas fait aujourd'hui partie de l'équipe de bénévoles du site L'Insatiable (www.linsatiable.org) en tant que rédacteur en chef. Il participe également à la nouvelle revue L'Insatiable papier.

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Billet de blog 26 septembre 2016

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Notre radeau dans la tourmente

Cela fait maintenant vingt-et-un ans qu'avec plusieurs équipes successives d'une vaillance et d'une résistance rare alliant diverses générations et quelques fidèles pionniers toujours présents, nous tenons à bout de bras cet outil au service de la circulation de l'art et de la culture qui s'est appelé Cassandre, puis Cassandre/Horschamp et se nomme aujourd'hui L'Insatiable.

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Illustration 1
La une du numéro 25 de Cassandre par Olivier Perrot

Une revue, mais pas seulement, un noyau vivant de militants de la culture et de l'art qui se sont donné pour mission de relancer le dialogue, de rappeler par toutes sortes de moyens allant de l'écrit à la parole directe, en passant par l'accompagnement et la présentation d'artistes puis la diffusion d'informations sur internet, le rôle essentiel du geste artistique dans toute société humaine. Nous l'avons fait depuis ce pays très spécial qu'est la France, où le symbolique conserve une valeur réelle dans l'esprit de chacun, où le débat reste possible. Nous l'avons fait à partir d'une nation dans laquelle, pour toutes sortes de raisons historiques, et politiques au sens large du terme, qu'on peut trouver bonnes ou mauvaises, le mot culture continue à être considéré comme l'un des porteurs essentiels du sens de notre vie commune. Un pays où le «monde de la culture» est stratifié de façon outrageusement féodale, mais où prit quand même naissance l'idée d'Éducation populaire et où celle de démocratie culturelle fut, ça et là, mise en action. Utopies qui restent vives dans le cœur d'une très grande quantité de gens et ne demandent qu'à s'actualiser. Et cela jusqu'à aujourd'hui, dans un monde fortement déstabilisé par les violentes attaques d'une rapacité néolibérale dont les places fortes sont ancrées aux États-Unis d'Amérique. Depuis le début, nous avons exploré d'autres terres, mais nous voulons aujourd'hui ouvrir largement nos frontières, comme nous avons commencé à le faire avec nos chers alliés bruxellois de Culture et démocratie.

Et, il faut le redire, ce travail nous n'aurions pu le mener hors du cadre d'un service public dont les fondations furent posées à la Libération. Moment-charnière, grande faille historique où les mots puissants du Conseil National de la Résistance résonnaient dans les esprits, où tout ce qui pouvait servir à créer du commun et élever l'être humain semblait soudain réapparaître aux yeux des responsables politiques. Bien qu'elle se soit souvent heurtée aux problèmes inhérents à une large diffusion publique de l'écrit, au manque de moyens, à notre propre incompétence en matière de marketing, et à l'incompréhension d'un certain nombre de décideurs qui ne voient pas plus loin que le bout de leur mandat, la fabrication des différents outils que nous avons inventés au fil du temps a été rendue possible par des soutiens publics qui palliaient en partie les difficultés en question. Nous avons toujours fait le maximum possible avec les moyens dont nous disposions, nous avions le sentiment de remplir une mission essentielle, cela nous nourrissait.

Nous n'avons pas cherché à en tirer profit, c'est le moins qu'on puisse dire. Et ces moyens ont fortement décru, bien sûr, sous la précédente présidence. Mais malgré une certaine précarité, nous avions le sentiment d'être soutenus par quelques-uns, qui savaient l'importance de la transmission de ces valeurs fondamentales. Soutien moral, d'une valeur inestimable, de quelques précieux gardiens du sens. Ces soutiens manifestaient une volonté politique, une conscience. Et il suffit de voir qui sont les grands décideurs aujourd'hui, il suffit d'assister à la débacle générale qui s'abat sur la vie artistique française - celle qui ne se préoccupe ni de rendement ni de vedettariat mais de circulation de l'art et de la culture dans toutes les strates de la société -, pour comprendre pourquoi des outils comme le nôtre, qui sont des fournisseurs de lien et des passeurs de sens,  qu'on valide ou non tous nos choix, sont de moins en moins soutenus, dans le cadre des pouvoirs en place, par une volonté politique. Nous avons nos qualités et nos défauts et n'avons pas toujours été d'accord entre nous sur les modalités d'action, le débat reste ouvert, mais nos convictions sont solides. Depuis longtemps nous avons vu venir les vents mauvais et nous n'avons cessé d'alerter, à tous les étages du bâtiment culture, des dangers que faisait courir la pussillanimité de décideurs majeurs dans une société en voie de perte de sens. Nous avons tenu contre vents et marées. Devant le violent reflux des aides publiques qui nous prive du minimum de moyens, nous allons devoir arrêter la plus grande partie de nos activités. Lorsqu'aucune lumière ne filtre plus, on ne peut pas espérer de miracle. Nous avons souvent crié au loup, c'est vrai. Cette fois le voici et il ne se déguise plus en agneau.

Nous ne voyons plus du tout de quel côté nous tourner pour faire vivre ces idées, qui, bien ou maladroitement portées, sont par exemple celles de Rousseau, de Victor Hugo, de Jean Jaurès, de Jean Dasté, de Jean Vilar et de bien d'autres… Et constituent le fondement de notre vision de l'humain, le socle même de la résistance à la déshumanisation programmée de ce monde. Ont-ils conscience de ce qu'ils font, ceux qui détruisent sciemment les outils d'une culture citoyenne, qu'ils soient de pierre, de mots, de papier, ou de pure énergie  ? Veulent-ils vraiment la destruction du socle de l'esprit qui se construit dans le partage, d'une pensée commune qui se met en débat ? Savent-ils ce que cela ne manquera pas de produire ? Ignorent-ils de quel gouffre surgit la barbarie ? Savent-ils ce qu'ils font ?

Nicolas Roméas

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