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Nicole Péruisset-Fache

Professeure agrégée honoraire, Docteure de l'Université de Rouen, Qualifiée aux fonctions de maître de conférences, Chercheure en sciences humaines indépendante, poète à ses heures

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Billet de blog 13 juin 2023

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CARPE DIEM (6e épisode)

L’après-midi même, le paysagiste revint pour continuer le travail commencé.

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CARPE DIEM (6e épisode)

6. Vertu

L’après-midi même, le paysagiste revint pour continuer le travail commencé. L’ayant aperçu d’un coin de fenêtre, la maîtresse de céans sentit son cœur s’agiter dans sa poitrine comme un oiseau des bois soudain prisonnier d’une cage. Ses veines battaient à ses tempes et elle fut prise d’une faiblesse qui l’obligea à s’asseoir. La présence, chez elle, de ce jeune homme dont jusqu’alors elle n’avait pas même soupçonné l’existence la bouleversait.

Elle avait à la fois envie de se précipiter au jardin pour le revoir, et de rester à l’abri pour ne pas laisser paraître son trouble. Ses désirs, contradictoires, la divisaient, la torturaient, la privaient de tout pouvoir de décision. Elle savait que la décision la plus sage était de ne pas aller au-devant de l’aventure, de dominer ses sentiments et l’intérêt qu’elle portait à cet être par curiosité, par inclination, par folie. Elle savait aussi ayant déjà vécu, comme toute jolie femme, des tentations presque semblables, que si elle résistait à ces appels du dehors, elle finirait tout simplement par en oublier l’origine, les manifestations, et même le visage auquel ils étaient associés. Notre faculté d’oubli était aussi illimitée que notre mémoire. Tout, dans l’histoire des hommes, le prouvait.

Et puis, que penserait-il d’elle si elle s’empressait de le rejoindre au jardin alors qu’il venait à peine d’arriver ? Peut-être, sur le coup, en serait-il heureux, mais il ne serait pas pour autant convaincu de la sincérité de ses sentiments, bien au contraire. Il la prendrait pour une de ces matrones aux mœurs libres dont la rumeur publique se gaussait tout en les craignant, celles qui s’amourachaient des gladiateurs aux muscles puissants et couraient les rejoindre la veille d’un combat. Pour rien au monde, elle n’aurait voulu perdre le respect qu’il lui devait en tant que maîtresse des lieux, d’une part, et en femme de haut rang prête à braver les conventions sociales pour n’écouter que son cœur, si toutefois le cœur était vraiment le responsable.

Alors elle fit effort sur elle-même et décida de le regarder de loin, de ne pas se montrer cet après-midi-là. D’ailleurs le temps s’assombrit et il se mit à pleuvoir, comme pour la dissuader de sortir. Les dieux avaient de ces façons d’agir au moment propice, c’était surprenant, même pour elle que, sa vie durant, ils avaient si particulièrement favorisée. Jetant un coup d’œil par la fenêtre elle aperçut les hommes qui se couvraient pour se protéger du mauvais temps et poursuivre leur tâche tant bien que mal.

Elle quitta la fenêtre pour se regarder dans un miroir. A demi satisfaite, elle se rendit au Laraire pour vérifier que les fleurs cueillies y étaient restées fraîches. Depuis le tremblement de terre si catastrophique, qui avait eu lieu quelques années plus tôt, la ville en pleine reconstruction avait été placée sous la protection toute spéciale des dieux Lares que chaque citoyen honorait avec la plus grande piété. Son époux n’avait-il pas, après le séisme, fait restaurer avec soin l’autel aux bas-reliefs de marbre ? Elle-même s’y rendait plusieurs fois par jour pour méditer sur le sort de la cité et de sa propre famille, et inciter les dieux à la clémence.

  (à suivre)  Aimée Saint-Laurent © Nouvelles d'ici et d'ailleurs, de maintenant et de toujours

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