CARPE DIEM (Fin)
8. Neuvième jour avant les Calendes de Septembre
Le chemin avait été un peu plus long que prévu. Non qu’il eût flâné en route, mais il avait fait particulièrement chaud et les haltes auxquelles il avait été contraint par la chaleur l’avaient retardé, tout bon marcheur qu’il était. Enfin, il avait aperçu la mer et les îles du golfe au détour d’un sentier qu’il avait pris comme raccourci, juste avant la nuit. Le lendemain, il serait près d’elle, il lui ferait savoir que le message l’avait contrarié, qu’elle ne devait pas s’attendre à des visites très fréquentes de sa part, il ne le pouvait pas en raison de son métier, il le lui avait déjà dit. Il ferait tout de même son possible pour la voir, elle ne devait pas s’inquiéter, elle était sa reine.
Il était déjà en pensée dans la petite diaeta autour de laquelle il avait planté de nouveaux arbustes dont le parfum les avait enchantés certains jours. Apercevant une masure à quelques pas, il demanda l’hospitalité pour la nuit.
Réveillé au lever du jour, le lendemain, il partit sans prendre congé de ses hôtes toujours endormis. Il avait encore devant lui plus d’une demi-journée de marche. Mais il était en pays de connaissance maintenant. Encore une fois, la chaleur était suffocante et il devrait s’arrêter à l’heure de midi pour prendre un peu de repos et se mettre à l’abri des rayons du soleil. Il espérait que son absence de Rome n’apporterait aucun préjudice à l’avance des travaux. Un autre patricien l’avait déjà retenu et il n’aimait pas être obligé de faire attendre les clients plus que de raison.
S’étant arrêté comme il l’avait décidé, il déjeuna rapidement de quelques figues données par ses hôtes de la nuit, s’allongea et fermant les yeux en pensant à la belle qui l’attendait là-bas, tout près, s’endormit.
Il ne savait pas combien de temps avait passé quand il se réveilla, engourdi par la chaleur et un mauvais rêve qu’il venait de faire et dont il n’arrivait pas à se souvenir. Il avait la bouche pâteuse et les narines désagréablement sèches. Il se frotta les yeux et, ramassant le balluchon qu’il avait déposé pour y caler sa tête, se leva. Il fut surpris par l’aspect inhabituel du ciel dans la direction de la ville. Dans sa mémoire, il chercha à retrouver la date. C’était le neuvième jour avant les Calendes de Septembre. Il calcula à la hauteur du soleil qu’on approchait de la septième heure. Une nuée bizarre, en forme de pin parasol, semblait s’élever de la montagne, puis s’évanouir en s’élargissant. Le sol tremblait sous ses pieds. Il sentit la gorge lui piquer, et se mit à tousser. Le ciel s’obscurcit, et il comprit que des cendres lui tombaient sur la tête. Il lui était de plus en plus difficile de respirer. Il étouffait. Il se sentit chanceler et s’affaissa sur les épines de pin du chemin.
Quelques jours plus tard, un curieux qui venait pour s’approcher de la cité, au cas où ses ruines encore fumantes regorgeraient de trésors, trébucha à la nuit tombante sur le corps du jeune homme. De Pompéi, il ne restait rien ou presque. La ville et la plupart de ses habitants avaient disparu sous quatre mètres de lave. Pendant plus de dix-sept siècles, on ne saurait même plus la localiser à l’endroit hanté que les paysans continuaient néanmoins d’appeler « Cività », la ville.
Etait-ce la belle patricienne amoureuse, dont dix-huit siècles plus tard, les archéologues retrouvèrent les restes à proximité de ses bijoux, bracelets d’or serpentiformes, bagues, épingles à cheveux, boucles d’oreilles, miroir en argent, bourse remplie de monnaies d’or ? Affolée par les cendres qui tombaient, elle avait tenté de se réfugier dans le tablium de sa belle demeure mais le toit s’était effondré, l’ensevelissant avec ses trésors et mettant fin à ses tourments sans qu’elle ait jamais revu celui qu’elle attendait et qui se dirigeait vers elle quand les émanations toxiques dues à l’explosion du volcan l'endormirent pour toujours, lui aussi.
Aimée Saint-Laurent © Nouvelles d'ici et d'ailleurs, de maintenant et de toujours mai 1994