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Billet de blog 2 mars 2016

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Comment votre facture électrique finance l'industrie française

De nombreux pays européens, dont la France, servent des aides financières à leurs industriels via des abattements sur leurs factures d'électricité. Un moyen pratique d'échapper à la vigilance de Bruxelles, mais dont on peut regretter la relative opacité vis-à-vis des citoyens-consommateurs.

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Les aides directes aux entreprises étant assez strictement contrôlées par la Commission Européenne, il est plus aisé pour les états désireux de soutenir leur industrie de le faire par des moyens un peu détournés. Dans ce grand jeu de dupes, le financement d'une partie des factures d'électricité des industriels par votre propre facture a fait ses preuves. La Commission ferme les yeux. Les états peuvent bien aider leurs entreprises, mais en cachette. Les apparences sont sauves. La concurrence n'est pas faussée.

Petit état des lieux des pratiques en vigueur en France.

Les pouvoirs publics français (législateur, gouvernement et régulateur (CRE)) ont directement la main sur certaines composantes des factures d'électricités, et notamment sur la part acheminement (ou part TURPE), qui rétribue les gestionnaires de réseaux et qui représente environ un tiers de votre facture, et sur la part taxes, du même ordre de grandeur. Ils ont également une certaine influence sur la part fourniture (qui rétribue fournisseurs et producteurs, et qui constitue le dernier gros tiers de votre facture) via la fixation des tarifs réglementés pour les petits consommateurs. Précisons au passage que contrairement à ce que l'on entend parfois, chacune de ces trois parts contient une composante "fixe" (ou "abonnement") liée à la puissance contractée (en kVA ou kW) et une composante "variable" liée aux kWh consommés ; par ailleurs, il est rare que cette classification acheminement / fourniture / taxes apparaisse explicitement sur les factures d'électricité.

Il est ainsi très facile pour les pouvoirs public de décider, un peu arbitrairement, que telle catégorie d'usagers soit exemptée de telle taxe ou bénéficie d'une réduction significative de la part acheminement. Et ils ne se privent pas de le faire : les gros consommateurs d'électricité profitent de plusieurs dispositifs qui leur permettent d'accéder à un prix du kWh très sensiblement inférieur à celui proposé aux ménages. 

Dans la mesure où le reste de la communauté des consommateurs d'électricité finance de fait ces dispositifs, il serait légitime que ceux-ci soient parfaitement transparents. Mais cela n'est malheureusement pas toujours le cas, soit du fait du déficit d'informations concernant les montants en jeu, soit du fait des justifications un peu trompeuses qui sont apportées.

Voici donc la liste des dispositifs en question, que l'on pourrait résumer de la sorte : les consommateurs industriels les plus électro-intensifs ne paient qu'environ 2 % de la principale taxe électrique (la CSPE) et que 10 % de la part acheminement qui aurait dû leur revenir (part déjà calculée sous des hypothèses généreuses) ; ils ont également la possibilité de recevoir d'importantes compensations financières en contrepartie de leur participation à un dispositif dit "d'interruptibilité" ; au final, un rapide calcul laisse penser qu'un industriel qui exploite au maximum chacun des dispositifs paie ses kWh à un prix moyen environ quatre fois inférieur à celui qui vous est proposé.

I. Je mets un peu de côté le premier de ces dispositifs, qui consiste à rendre la part acheminement (et la part fourniture s'agissant des quelques tarifs réglementés restants) des factures d'électricité fortement dégressive(s), c'est-à-dire que, à puissance contractée donnée (en kVA ou kW), plus vous consommez de kWh, moins vous les payez cher à l'unité : les premiers kWh coûtent beaucoup plus cher que les suivants. De fait, quand bien même le degré de dégressivité ait sans doute été arbitrairement exacerbé, la tarification dégressive peut trouver une certaine justification : à puissance donnée, ceux qui consomment le plus de kWh tendent à être ceux qui consomment le plus régulièrement sur l'année, et une consommation régulière tend à générer moins de coûts qu'une consommation irrégulière (surtout si cette consommation irrégulière suit les tendances nationales et connaît des pics en hiver, en matinée, et en début de soirée).

II. Venons-en au second dispositif : l'exemption partielle de la CSPE, taxe sur l'électricité de 19,5 €/MWh en 2015 dont le produit sert notamment à financer les énergies renouvelables, les tarifs sociaux, et les systèmes électriques d'outre-mer. Il existe(ait) en fait une triple exemption pour les gros consommateurs :

- chaque site de consommation voit sa contribution à la CSPE plafonnée (à 627 783 € en 2015) ;

- les sociétés industrielles consommant plus de 7 GWh bénéficient en plus d'un plafond égal à 0,5 % de leur valeur ajoutée ;

- les consommateurs qui achètent leur électricité à une installation de production installée sur leur site de consommation bénéficient en plus d'une exonération totale de CSPE sur les kWh achetés à l'installation de production, dans la limite de 240 GWh annuels par site de production

A partir de 2016, la CSPE est largement redéfinie et le dispositif d'aide évolue : la nouvelle CSPE (ex-TICFE) (22,5 €/MWh en 2016) voit son montant minoré pour les électro-intensifs, à un niveau qui va de 7,5 €/MWh à 0,5 €/MWh, en fonction notamment du critère "consommation électrique par euro de valeur ajoutée".

III. Le troisième dispositif mis en place conduit à diminuer radicalement la part acheminement des consommateurs considérés comme électro-intensifs (je vous renvoie éventuellement aux liens ci-après pour en connaître les critères précis). Après une première ristourne ponctuelle égale à 50 % de la part acheminement de certains de ces consommateurs sur la période du 1er août 2014 au 31 juillet 2015 (dont le coût fut estimé à environ 60 millions d'euros), le dispositif devrait être amplifié et pérennisé comme le prévoit la loi sur la transition énergétique de 2015 (articles 156 et 157). D'après le projet de décret proposé par le gouvernent fin 2015, les futurs abattements consentis sur la part acheminement (TURPE) des consommateurs électro-intensifs iraient de 45 % à 90 %, en fonction des caractéristiques du site. Le dispositif, qui inclut également les stations de pompage hydraulique (STEP), devrait coûter aux environs de 140 millions d'euros annuels. A noter que l'on touche à l'absurde quand la loi prévoit que ces abattements soient déterminés "en tenant compte de l'impact positif de ces profils de consommation sur le système électrique", laissant croire que de tels abattements seraient justifiés par des considérations autres que la seule volonté de soutenir les entreprises françaises : comme déjà expliqué s'agissant du premier dispositif, les "impacts positifs" de la nature très régulière des consommations des électro-intensifs sont déjà pris en compte dans la structure dégressive du TURPE (ainsi que de par sa nature horo-saisonnalisée, qui conduit à de fortes variations de prix en fonction de la période de consommation), et ce déjà de manière probablement excessive sans qu'il ne soit besoin d'ajouter des abattements aussi considérables.

IV. Je finirai par des dispositifs de nature un peu différente, qui ne conduisent pas à réduire directement la facture des gros consommateurs, mais plutôt à les rémunérer pour des services qu'ils sont en mesure de fournir au système électrique en modulant de temps en temps leur consommation. A priori, rien de bien gênant, si ce n'est que la rémunération des services rendus semble parfois très excessive. Ainsi, pour certains dispositifs, l'objectif recherché apparaît être au moins autant de réduire encore un peu plus, mais sans le dire, la facture des gros consommateurs, que d'introduire un service véritablement utile au système électrique. Au premier rang de ceux-ci, le dispositif d'interruptibilité, qui conduit à rémunérer les gros consommateurs afin que ceux-ci acceptent de réduire soudainement leur consommation en cas de (rarissime) perturbation majeure sur les réseaux. Ce dispositif en vigueur depuis 2012 vient d'être considérablement renforcé, son coût annuel étant désormais estimé à environ 108 millions d'euros.

V. Enfin, certains pourraient être tentés d'ajouter à cette énumération les tarifs de long terme négociés entre EDF et les nombreux consommateurs électro-intensifs du consortium Exeltium, pour la part fourniture. En effet, il n'est pas impossible qu'EDF consente à des tarifs un peu plus avantageux que ne le ferait un fournisseur ou un producteur lambda, pour telle ou telle raison en lien avec son statut d'ancien service public. Mais ceci reste de l'ordre de la spéculation.

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