Il y a quatre jours, je m’étais dit que le tour de l’affaire était fait : les 2 journalistes étaient décrédibilisés, le régime marocain s’en tirait à bon compte, et les pouvoirs publics français s’étaient de toute évidence salement mouillés pour éviter une perte d’image à la monarchie…
Tout cela était – est – vrai. Et pourtant, il y a quelques trucs qui clochent.
1) « Le régime marocain s’en tirait à bon compte ». Mouais… Mais en même temps, il n’a rien démenti, et s’il a réussi à jeter le soupçon sur les deux journalistes, on ne peut pas dire qu’il ait lavé plus blanc pour lui-même…
Ainsi, deux choses que personne n’a relevé jusqu’à maintenant semble-t-il, en tous cas publiquement, et qui laissent rêveur :
a) le représentant du Palais est parti voir dans sa chambre, a-t-il dit, s’il trouvait de quoi donner une avance aux deux journalistes, et il est revenu 50 minutes après avec deux enveloppes de 40 000 euros chacune en petites coupures… Moi je dis : voilà un garçon qui est prévoyant…
b) La photographie du « contrat » manuscrit en trois exemplaires abondamment diffusée par BFMTV montre en entier la signature d’Éric Laurent, l’ébauche de celle de Catherine Graciet, mais vraiment rien de celle de Me Naciri, l’avocat qui représente le Palais… Un contrat où l’une des parties ne signe pas, c’est possible ? Ou bien le photographe (ou les reproducteurs de la photo)a/ont sciemment mis hors cadre la signature de Me Naciri ?
2) « Les pouvoirs publics français [se sont] salement mouillés pour éviter une perte d’image à la monarchie. » Rien ne vient contredire cela pour l’instant. « L’affaire est entendue » comme on dit dans les prétoires. D’autant que, si l’on en croit le papier du JDD aujourd’hui 6 septembre, certaines informations brûlantes que possèdent les journalistes viennent d’un rapport de la DGSE (services secrets français), dévoilé fielleusement pendant la brouille de l’an dernier entre la France et le Royaume : « Ils ont clairement une volonté de se venger du Maroc » aurait insisté Catherine Graciet (d’après bien sûr les relevés des enregistrements que le JDD s’est procurés)…
3) « Les deux journalistes [sont] décrédibilisés ». Alors là, le mot est faible : c’est à une véritable curée que se livre par exemple le JDD du 6/09 :
Et il n’est pas le seul à taper sur eux. Beaucoup de commentateurs aussi, sur Mediapart ou ailleurs, s’indignent du manque de déontologie des 2 journalistes. Tout semble leur donner raison. Même Le Canard enchaîné le dit : « Le tandem journalistique de choc a-t-il fait chanter le roi du Maroc ou s’est-il fait acheter et piéger par ses services ? L’enquête le dira. Qu’importe, le résultat est le même. […] du point de vue déontologique, l’affaire est pliée. » C’est sûr.
Mais j’ai un gros doute. Il y a en effet la réalité de ce qu’encourent Éric Laurent et Catherine Graciet sur le plan pénal : corrupteur, extorqueur de fonds, c’est beaucoup plus grave que corrompu. Le Canard enchaîné, encore lui, le dit d’ailleurs : « … le résultat est le même. Pas sur le plan pénal, bien sûr, la nuance peut même être de taille pour nos deux champions, et ils l’ont bien compris… » Donc, ils avouent tous les deux une « faiblesse », et en même temps le sentiment que ces infos étaient trop destructrices pour le régime marocain, qu’il valait sans doute mieux ne pas les publier, pour sa sauvegarde… Je n’y crois pas ! C’est trop gros ! Et tout le monde se jette là-dessus avec une telle facilité, alors que les autres protagonistes de l’affaire – le roi, Me Dupont-Moretti, le ministère public français – sont opportunément oubliés…
Les deux journalistes pourront m’accuser de laisser entendre qu’ils sont les corrupteurs, ce dont je n’ai évidemment aucune preuve, mais je parie désormais, plus qu’avant, qu’ils ont effectivement voulu piéger le palais royal, afin d’écrire un premier (ou un dernier !) chapitre sur sa corruption… Et ils se sont fait avoir par plus roué et plus puissant qu’eux.
Et je parie encore qu’une fois l’enquête terminée et le jugement prononcé, ils publieront leurs informations, d’une manière ou d’une autre. D’abord parce que c’était je le crois leur intention, et ensuite parce qu’ils auront une réputation à rétablir. Mais il y en a certainement – et pas des tendres – qui essaieront de les en empêcher. A suivre attentivement.