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Billet de blog 15 juillet 2014

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Le Maroc, pays de l’impunité… malgré la France ?

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Franchement, quand on suit un peu les affaires politico-judiciaires au Maroc, et leurs développements par rapport à la France, notamment, les bras vous en tombent…

Un juge d’instruction près de la Cour d’appel de Tanger ordonne, vendredi 11 juillet, la mise en détention provisoire d’une militante du Mouvement du 20 Février, Wafaâ Charaf. Cette militante est accusée d’« allégations mensongères de torture » pour avoir fait savoir sur les réseaux sociaux qu’elle avait été torturée par deux policiers, au lendemain de sa participation à une manifestation du Mouvement du 20 Février, le 27 avril à Tanger.

D’un autre côté,un communiqué du procureur du roi près le tribunal de première instance de Casablanca annonce le 1er juin qu’Oussama Hassan, un autre membre du Mouvement 20 février en détention provisoire, est poursuivi pour « plainte mensongère » et « dénonciation d’un crime que le plaignant sait qu’il ne s’est pas produit» !!

Ainsi, le gouvernement Benkirane a décidé de sévir contre les auteurs d’allégations de torture et non contre les présumés auteurs de ces actes de torture, prenant ostensiblement le contrepied des recommandations d’Amnesty International. L’ONG avait publié, le 13 mai, un rapport décrivant l’étendue de la torture au Maroc. Elle y constatait la tendance de cette pratique à se généraliser sur des victimes d’origines diverses : « les militants de l’Union nationale des étudiants du Maroc (UNEM) ayant des affiliations avec les partis de gauche ou des partis islamistes, des partisans de l’autodétermination du Sahara occidental, des manifestants qui dénoncent la pauvreté et les inégalités, des personnes soupçonnées de terrorisme ou d’infractions liées à la sécurité nationale, ainsi que des membres de groupes marginalisés arrêtés pour des infractions de droit commun ».

Amnesty International y relevait en outre que « les juges et les magistrats du parquet mènent rarement des enquêtes sur les allégations de torture et d’autres mauvais traitements, ce qui signifie que peu d’auteurs de ces actes ont à rendre des comptes. Le climat d’impunité qui en découle annule le pouvoir dissuasif de la législation du Maroc contre la torture ».

Amnesty y déplorait aussi la rareté « des enquêtes et des examens médicaux ordonnés » suite aux accusations de torture. Même le ministre de la Justice marocain le confirme… puisqu’il révèle le 13 mars dernier, lors d’un conseil de gouvernement consacré à la situation des droits de l’Homme, notamment au Sahara occidental, que ses services ont reçu, rien qu'en provenance de ce territoire, 900 sollicitations d’expertises médicales, mais que seulement 11 ont été acceptées….

Il existe pourtant une demande de poids en ce domaine : celle qu’a faite Madame Navi Pillay, Haut-Commissaire aux droits de l’homme de l’ONU à l’issue de sa visite au Maroc le 30 mai 2014 : « L'impunité est le combustible le plus puissant pour les violations des droits de l'homme. […] Les allégations de torture doivent immédiatement faire l’objet d’enquêtes, sans exception, et les éléments de preuve obtenus sous la contrainte doivent être exclus, comme exigé explicitement par les lois internationales et marocaines. Le cas des 21 prisonniers de Gdeim Izik en est un exemple, qui a besoin d'une enquête approfondie. »

Avec beaucoup de pédagogie, Mme Pillay recommande encore : «  Une seule poursuite de haut niveau des auteurs d'actes de torture ou de mauvais traitements enverra un signal fort aux fonctionnaires de l'État et au grand public montrant que le Maroc, dans les faits, ne tolère pas l'utilisation de la torture ou d'autres traitements cruels, inhumains ou dégradants »…

La France et le Maroc

C’est là qu’on s’interroge : mais le Maroc, c’est bien ce pays avec lequel la France est « en froid » depuis plusieurs mois ? Erreur : c’est le Maroc qui est en froid avec la France. C’est le Maroc qui est l’offensé… D’ailleurs, on découvrait  dans lefigaro.fr de ce matin que « Le Maroc, avec lequel les relations diplomatiques sont actuellement chahutées, a dépêché in extremis trois militaires par avion spécial » pour participer au défilé du 14 juillet français… C’est dire jusqu’où va l’ire du royaume !

Le Maroc boude. Mais au-delà de ces gesticulations un peu ridicules, il a suspendu unilatéralement toutes les conventions judiciaires franco-marocaines (tant civiles que pénales) à la fin de février 2014. Et là, ce n’est pas risible du tout car, comme dirait un journaliste marocain très favorable au maghzen, « cette procédure, au demeurant, pourrait s'avérer préjudiciable tant aux Marocains résidant en France qu'aux Français installés au Maroc, ainsi qu'aux dizaines de couples dont les régimes matrimoniaux s'inspirent du droit marocain ou français. » Rien de moins (cette suspension pénalise d’ailleurs beaucoup plus de Marocains que de Français). Cela dure depuis plus de 4 mois. Et l’ambassadeur de France au Maroc, Charles Fries, convoqué le 20 juin par le chef du contre-espionnage marocain Mohamed Yacine El Mansouri, à la suite de la lettre accusatrice laissée par l’ex-capitaine marocain Abid au général Bennani soigné à Paris au Val-de-Grâce, s’exécute sans broncher…

Où donc est le problème entre les deux pays, liés d’une vieille amitié ressortissant souvent à de la complicité ?

C’est cette affaire d’impunité. Ça coince. Le régime marocain voudrait qu’on laisse tranquille ses hauts responsables, monsieur Abdelatif Hammouchi, directeur général de la DGST (Direction Générale de la Surveillance du Territoire), celui qu’un juge d’instruction français voulait auditionner dans le cadre d’une affaire de torture en février, alors qu’il était à la résidence de l’ambassadeur du Maroc dans la région parisienne, et ses proches, l’ancien ministre de l’Intérieur Mohand Laenser, impliqué dans l’affaire du champion de boxe Zakaria Moumni, ou encore le conseiller du roi, Mounir Majidi. Tout plutôt que le soupçon ou, pire, un mandat d’amener… Sauf que l’affaire n’est pas seulement politique et diplomatique, elle est aussi judiciaire. Et, comme le souligne le juriste bloggeur Ibnkafka parlant de la convocation de Hammouchi par un juge français : « sauf précisions éventuelles sur les dispositions juridiques qui auraient été violées par le comportement de la police française, difficile d'y voir une violation par la France de ses obligations conventionnelles vis-à-vis du Maroc… »

Difficile donc d’accéder sans broncher aux exigences du maghzen sans mettre le monde judiciaire en émoi… Robert Badinter le rappelait lors de débats au Sénat en juin 2008 : « Pour certains crimes qualifiés d’‟internationaux” dont la gravité est si évidente qu’elle alerte les consciences et mobilise la communauté internationale […], si l’auteur présumé se trouve sur le territoire français, alors il y a compétence de la justice française. »

La torture est un de ces crimes graves, et si le Maroc n’est certainement pas le seul pays du monde arabe et du Maghreb qui la pratique, c’est celui avec qui la France doit clarifier sa position, et montrer qu’elle n’accepte pas, ou plus, l’impunité.

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