Il y a un peu plus d’un an déjà. On ne sait pas trop comment l’idée leur est venue. L’impuissance accumulée peut-être. Le sentiment d’être en prison depuis tellement d’années. Un besoin de renouer avec ce qui fait le fond de leur culture nomade : le désert, la « badia » comme ils disent. Alors ils ont laissé la ville quadrillée par les gendarmes et les compagnies mobiles d’intervention marocains (CMI, les CRS locaux). À quelques dizaines, ils sont allés à 15 kilomètres de là – Gdeim Izik – planter leurs tentes, pour se retrouver, partager les repas, les poèmes et les rêves. Le rêve d’échapper à l’oppression, et de vivre normalement : avoir accès à un travail, à un logement, à des soins. Il y avait beaucoup de jeunes, mais pas seulement, des femmes aussi. Des voitures sont retournées à El Aïoun, les gens ont convaincu d’autres gens de venir grossir le campement. De quelques dizaines ils sont devenus plusieurs centaines en quelques jours. Puis des milliers. Les Marocains n’ont pas vu venir.
http://www.youtube.com/watch?v=Fw6525HQ5RI&feature=player_embedded# (l'étendue du camp)
Après ils ont vu, envoyé des hélicoptères, des camions de police, tracé une tranchée et dressé un mur de sable autour du camp. Mais ils ont laissé une entrée et une sortie. Ils hésitaient : ce campement était parfaitement pacifique, avec femmes et enfants, les Sahraouis manifestaient pour des revendications sociales, il n’y avait même pas le prétexte de l’autodétermination pour leur taper dessus.
Vers la fin octobre 2010, après 3 semaines, on comptait près de 8000 tentes ; avec les allées et venues, c’étaient entre 15 000 et 20 000 personnes qui y séjournaient. Elles s’organisaient pour la nourriture, l’eau, les déchets. Elles se réunissaient régulièrement pour débattre de leur sort, de ce qu’elles voulaient obtenir. Un comité d’une dizaine de jeunes assurait la responsabilité générale du camp.
http://www.youtube.com/watch?v=i2Vv2CBaQdk&NR=1 (la fête au campement)
Des visages (féminins et masculins) se cachant derrière des lunettes, des voiles ou des turbans : la crainte des espions marocains était bien là encore ! Mais ceux qui l’ont vécu et qui parlent de Gdeim Izik aujourd’hui le font comme d’une période de grande liberté et de grande fraternité.
Il se passait quelque chose d’inédit sur ce pan de désert occidental, que de rares téléphones satellitaires permettaient de transmettre aux amis, principalement en Espagne, aux Iles Canaries en particulier. Mais les Marocains verrouillent l’information sur le Sahara Occidental depuis longtemps, en particulier vis-à-vis des journalistes espagnols, beaucoup plus curieux et engagés à propos du Sahara que les médias français par exemple. Alors, lorsqu’un jeune Sahraoui de 14 ans a été tué par la police à l’entrée du camp, le 24 octobre 2010, ils ont empêché les 7 envoyés spéciaux de la « Péninsule » (l’Espagne) de débarquer à El Aïoun pour couvrir l’événement. Ce fut un black-out total.
Ce qui aurait pu être l’étincelle de l’automne arabe, a finalement été étouffé dans l’œuf. Et d’une manière qui ne laisse guère de doute sur les conseilleurs de Mohamed VI… Personne n’a oublié l’expression de Michèle Alliot-Marie, alors ministre des Affaires Etrangères, qui n’hésitait pas début janvier 2011 à proposer à la police tunisienne le « savoir-faire » français pour « régler les situations sécuritaires »…. Un scandale à l’époque ! C’était 2 mois après Gdeim Izik…
Lances à eau très chaude, gaz lacrymogènes, bombes incendiaires, hélicoptères hurlant de quitter les lieux : le 8 novembre 2010 au matin, les forces spéciales marocaines ont commencé le démantèlement du camp. A midi c’était fini.
http://www.youtube.com/watch?v=9qOVRDtYMgc (le camp dévasté le 8 au soir)
Les Sahraouis du camp ont dû rentrer chez eux, la rage au cœur. Dans El Aïoun, il y a eu des échauffourées, des incendies de bâtiments officiels. Les Marocains ont ratonné, pénétré dans les maisons, tout saccagé, emmené des centaines de personnes en prison… 23 d‘entre elles sont actuellement encore incarcérées à la prison de Salé, passibles de tribunal militaire, en attente de jugement depuis plus d’un an. Certains, comme Ennaama Asfari, avaient été arrêtés à leur domicile la veille du démantèlement du camp ! Ces prisonniers sont en grève de la faim depuis le 31 octobre 2011, pour obtenir enfin un procès, un procès équitable.
L’étincelle est partie d’ailleurs. De Tunisie.
Puis l’Egypte, la Libye, le Yémen, la Syrie…
Le Maroc n’y a pas échappé. Le Mouvement du 20 février revendique, depuis 9 mois, l’instauration de la démocratie, un roi qui règne sans gouverner, le respect des droits de l’homme, une lutte déterminée contre la corruption. Ils appellent à boycotter les élections législatives du 25 novembre. Les militants de ce mouvement, qui manifestent régulièrement à Casablanca, à Rabat, à Tanger et dans d’autres villes, se font aussi régulièrement tabasser, de moins en moins par les policiers officiels, et de plus en plus par les fameux « baltagia », ces jeunes gens sans le sou que l’on paie pour casser du manifestant. Sans état d’âme.
Les mêmes baltagia interviennent désormais au Sahara Occidental : recrutés parmi les colons, ils s’attaquent directement à la population sahraouie, à El Aïoun, à Smara, à Dakhla.
C’est la nouvelle manière du Maroc pour réprimer sans se faire épingler par l’opinion internationale. Chacun a pu remarquer comme les medias français, d’une manière générale, abordent ce pays comme une « exception » sur l’horizon autoritaire ou dictatorial du monde arabe. Il s’agit d’une complaisance bien sûr, sinon d’une véritable complicité.
L’espoir est petit pour les Sahraouis. Le campement de Gdeim Izik n’a pas fourni l’étincelle qui a révolutionné le Maghreb et le Moyen Orient. Ils ont été frustrés de cette formidable chambre d’écho.
Pourtant, cela ne les consolera guère sans doute, je crois que leur campement de milliers de tentes en plein désert est à l’origine d’un « effet papillon », une de ces empreintes légères dont les répercussions créatrices se font sentir à l’autre bout de la planète (normal, pour des « fils des nuages » !).