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Billet de blog 24 mai 2022

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Les femmes en temps de guerre

De nos jours, en temps de guerre et d'occupation, ce sont les civils – et les femmes tout particulièrement – qui paient le prix le plus lourd. Illustration chez les Sahraouies.

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Dans la période actuelle, les témoignages se sont multipliés sur les viols de guerre en Ukraine. Il faut dire que dans ce pays il y a une procureure générale qui « traque les crimes de guerre vingt-quatre heures sur vingt-quatre », et qui a recueilli « plus de 11 000 témoignages et lancé plus de 7 000 enquêtes » (Le Monde du 21 avril 2022). Et la Cour Pénale Internationale, qui a été saisie, doit aussi y envoyer des équipes.

Les choses sont bien différentes au Sahara occidental, dont l’occupation militaire illégale par le Maroc n’est pas dénoncée officiellement, sauf par les Sahraouis eux-mêmes et leurs soutiens.

Pourtant, les mêmes causes y produisent les mêmes effets : l’occupation du territoire permet de violer tous les droits et de perpétrer de nombreux crimes de guerre, avec la différence que cela se fait en toute impunité, le Conseil de sécurité de l’ONU n’ayant pas donné à sa mission de paix locale un mandat de surveillance des droits de l’homme, contrairement à la quasi totalité de ses missions de paix dans le monde…

Une jeune femme sahraouie a pourtant relevé le défi : il s’agit de Sultana Khaya qui, avec sa sœur Louara et sa mère Mitou, est assignée à résidence dans sa maison de Boujdour depuis novembre 2020, soit depuis plus de 500 jours ! Il s’agit d’un véritable siège, elles ne peuvent en sortir sans se faire taper dessus… Ne craignant pas les représailles marocaines, Sultana brandit très régulièrement sur son toit le drapeau du Front Polisario, le mouvement de libération sahraoui qui lutte depuis plus de 45 ans pour l’indépendance du Sahara occidental. Elle et sa sœur ont pourtant été agressées physiquement et, toujours à l’intérieur de leur maison, elles ont subi des tentatives de viol et ont même été violées sous les yeux de leur mère très âgée.

Malgré la honte et la stigmatisation qui frappent traditionnellement les victimes de viol, elles n’ont pas hésité à en faire état. Telle est leur force : Sultana et Louara savent communiquer avec le monde. C’est ainsi qu’elles ont pu inviter un groupe d’activistes américains sympathisants de leur cause à venir les rejoindre dans leur maison de Boujdour. Ils étaient 4 à s’y installer le 16 mars 2022, pensant y rester une semaine, mais 2 y sont encore aujourd’hui : la citoyenne américano-britannique Ruth McDonough et le citoyen américano-irlandais Tim Pluta. De fait, le siège a été rompu grâce à la venue des citoyens américains, les visites à la famille Khaya ont pu reprendre, les agressions sexuelles contre les sœurs ont cessé… Mais Sultana et Louara sont toujours interdites de sortie de leur maison.

Au long de 7 semaines, Ruth et Tim ont pu prendre la mesure des pressions et du chantage que les autorités marocaines exercent sur les sœurs Khaya. Aussi Ruth McDonough a-t-elle décidé, le 4 mai, de commencer une grève de la faim illimitée en solidarité avec Sultana, soulignant le caractère pacifique de sa militance, réclamant que cessent définitivement les viols dans sa maison, ainsi que le siège de celle-ci, et demandant qu’une enquête puisse y être menée par une organisation internationale de défense des droits de l’homme, indépendante et non partisane.

Cette grève de la faim solidaire est actuellement relayée par tranches de 24 heures dans différents pays, notamment aux États-Unis.

La résistance spécifique des femmes sahraouies n’est pas sans ennuyer les autorités marocaines… On l’a appris à travers le témoignage de 2 autres sœurs , Mbarka et Fatima Mohamed al-Hafiz, dans un reportage de Middle East Eye datant du 22 avril  :

https://www.middleeasteye.net/news/western-sahara-female-activists-morocco-rape-divorce-house-arrest

« Ces militantes de la ville de Boujdour [...] sont toutes deux encore couvertes de coupures et d’ecchymoses et sont actuellement prises au piège chez elles. »

Elles aussi affirment être victimes de viols, d’assignation à résidence, mais également de divorces forcés. En effet, au-delà des violences qu’elles ont visiblement subies, les autorités marocaines exercent des pressions croissantes sur leurs maris pour les pousser à freiner leurs actions. Les époux de Mbarka et de Fatima ont tous deux été contactés par les services de renseignement marocains, qui les ont sommés d’empêcher leur épouse de continuer à militer, sinon de divorcer. Dans le cas contraire, ils encouraient le risque d’être privés de salaire (ce sont bien sûr les hommes qui font vivre les familles par un travail rémunéré).

Le mari de Fatima a résisté aux pressions. Mais celui de Mbarka a choisi de divorcer… Toujours selon Middle East Eye, Mbarka a expliqué : « Je ne suis pas fière d’avoir vécu avec quelqu’un qui accepte cela et cède à la pression de l’occupation », « Donc pour moi, c’est mieux de simplement divorcer, puisqu’il a choisi d’ignorer la vie que nous avons eue ensemble et les années que nous avons passées ensemble... »

Historiquement, plusieurs femmes sahraouies ont réussi à faire entendre leur voix face à l’occupant marocain, au prix le plus souvent de mois voire d’années de résistance acharnée ; tel fut le cas d’Aminatou Haidar, victime de disparition forcée pendant 4 ans, puis mise en prison pendant 7 mois (en 2005), et surtout expulsée de l’aéroport d’El Aïoun (Laâyoune pour les Marocains) vers Lanzarote (aux îles Canaries) en novembre 2009. Elle y mena une grève de la faim de 32 jours avant que le Maroc cède et la laisse finalement revenir à El Aïoun, sa ville de résidence… Après quoi elle a reçu le Right Livelihood Award, connu sous le nom de « Prix Nobel alternatif », en septembre 2019.

Hors du territoire occupé par le Maroc, une place différente pour les femmes sahraouies

Dans les campements de réfugiés en Algérie, où se situe l’État sahraoui en exil (la République Arabe Sahraouie Démocratique, RASD), les femmes ne sont pas reléguées. Minatu Larabas Sueidat, Secrétaire générale de l’Union Nationale des Femmes Sahraouies (UNFS), membre du Secrétariat National du Front Polisario, était de passage à Paris à l’occasion de la Journée internationale des droits des femmes, le 8 mars 2022. Elle a pu donner différents aperçus sur la place des femmes dans la vie démocratique des camps de réfugiés : avec l’appui du président de la RASD, un pourcentage nécessaire de femmes parmi les candidats aux postes de parlementaires a été retenu; c’est ainsi qu’en mars 2020 13 femmes ont été élues, représentant 34 % des membres de l’Assemblée nationale sahraouie.

Minatu insiste par ailleurs sur le fait qu’il n’y a pas de violence domestique contre les femmes, car celle-ci est prohibée dans la culture sahraouie, dans la tradition de la société bédouine. Toutefois, il existe un problème de participation des femmes au niveau politique : les responsabilités domestiques et familiales étant avant tout féminines, il est difficile d’avoir d’autres rôles hors de la famille. Et d’une manière générale, les Sahraouis pensent qu’il faut plutôt confier les choses politiques aux hommes... Les femmes sont perçues comme sensitives, émotionnelles. Et plus on monte dans la hiérarchie du Front Polisario, moins il y a de femmes.

Mais, en tant que personne politique totalement engagée, Minatu Larabas milite justement avec force pour la mise en œuvre d’une résolution du Conseil de Sécurité de l’ONU, la résolution 1325 adoptée à l’unanimité le 31 octobre 2000, il y a plus de 20 ans… Cette résolution reconnaît l'impact des conflits armés sur les femmes et les filles – pensant aux viols et autres crimes de guerre –, et se prononce pour la protection et la pleine participation de celles-ci aux accords de paix. Mais la mise en œuvre de cette résolution est encore très insatisfaisante, et c’est en pensant à Sultana Khaya et à toutes les militantes sahraouies du territoire occupé par le Maroc que Minatu Larabas mène ce combat. Un combat qui dépasse la question sahraouie et que toutes – et tous* – doivent soutenir...

* Les hommes sahraouis ont aussi leur part de répression venant de l’occupant marocain. À la différence des femmes qu’on ne trouve pas dans les geôles, ils sont nombreux à peupler les prisons marocaines hors du Sahara occidental, à des centaines voire des milliers de kilomètres de leurs familles. Condamnés à de lourdes peines, parfois à la prison à vie, avec pour seule preuve de leur « faute » des aveux obtenus sous la torture, comme les 19 du groupe de Gdeim Izik...

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