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Billet de blog 2 novembre 2024

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Appel du 4 mars : la responsabilité de l’État dans le recours à la torture en Algérie

Plus de 80 citoyen-nes signent l’Appel du 4 mars 2024 de 24 associations demandant la reconnaissance de la responsabilité de l’État dans le recours à la torture en Algérie

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Demande citoyenne de reconnaissance de la responsabilité de l’État dans le recours à la torture lors de la guerre d’Algérie

Les conflits actuels ramènent nos consciences aux horreurs de la guerre. Lors de la guerre d’Algérie, de 1954 à 1962, des crimes ont été commis sous la responsabilité des plus hautes autorités françaises. Jean-Paul Sartre écrit alors : « Si rien ne protège une nation contre elle-même, ni son passé, ni ses fidélités, ni ses propres lois, s’il suffit de quinze ans pour changer en bourreaux les victimes, c’est que l’occasion décide seule, selon l’occasion n’importe qui, n’importe quand, deviendra victime ou bourreau. »

Dès 1962, dans La Raison d’État, Pierre Vidal-Naquet pose la question : « Comment déterminer le rôle, dans l’État futur, de la magistrature ou de l’armée ou de la police si nous ne savons pas d’abord comment l’État, en tant que tel, s’est comporté devant les problèmes posés par la répression de l’insurrection algérienne, comment il a été informé par ceux dont c’était la mission de l’informer, comment il a réagi en présence de ces informations, comment il a informé́ à son tour les citoyens ? »

A l’époque comme depuis, des voix se sont élevées pour réclamer que l’État français reconnaisse ses responsabilités dans le recours à la torturepar les forces de l’ordre françaises. En 2000, l’Appel des douze, adressé au président de la République demandait de condamner ces pratiques par une déclaration publique. Cette exigence a été réitérée par l’Appel du 4 mars 2024 de vingt-quatre associations antiracistes, anticolonialistes et des droits de l’homme, demandant la reconnaissance de la responsabilité de l’État dans le recours à la torture lors de la guerre d’Algérie.[1] Pour porter plus avant cette demande, en ces moments du 1er novembre 2024, quatre-vingt-trois citoyens et citoyennes rendent public leur soutien à l’Appel du 4 mars.

Le président de la République Emmanuel Macron a reconnu, en septembre 2018, l’assassinat en 1957 de Maurice Audin par les militaires français qui le détenaient. Il a reconnu en mars 2021 l’assassinat de l’avocat Ali Boumendjel lors de sa détention ; et un communiqué de l’Élysée du 18 octobre 2022 a déclaré : « Nous reconnaissons avec lucidité́ que dans cette guerre il en est qui, mandatés par le gouvernement pour la gagner à tout prix, se sont placés hors la République. Cette minorité de combattants a répandu la terreur, perpétré la torture, envers et contre toutes les valeurs d’une République fondée sur la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen ».

La reconnaissance par l’Élysée de la pratique de la torture ne peut être imputée à une minorité de combattants français ayant agi à l’encontre des valeurs de la République, elle n’explique pas des dysfonctionnements de l’État et de ses institutions militaires, administratives et judiciaires. Il n’est toujours pas répondu à la question, comment, quelques années après la défaite du nazisme, a-t-il été possible que soit conceptualisée, enseignée, pratiquée et couverte, une théorie : la « guerre contre-révolutionnaire », justifiant le recours à la torture avec l’aval ou le silence de l’État, de l’armée et de la justice.

Cette doctrine se fondant sur le triptyque : « terroriser, retourner, pacifier », qui valide et justifie la torture, a été théorisée par des officiersde retour de la guerre d’Indochine, notamment le colonel Charle Lacheroy dont la conférence Scénario-type de guerre révolutionnaire a été publiée en 1955 sous l’égide du ministère de la Défense.

Enseignée dans les écoles militaires, elle sera mise en œuvre quand Robert Lacoste, ministre résidant du gouvernement Guy Mollet, transfère le 8 janvier 1957, les pouvoirs de police à une armée dont la doctrine légitime la torture pour l’obtention de renseignements. Il est créé à Arzew le Centre d’instruction à la pacification et à la contre-guérilla (CIPCG) et par le Centre de coordination interarmées (CCI), les DOP (Dispositifs opérationnels de protection), qui sont des écoles et centres de tortures.

Dans l’armée, ceux qui pratiquent la torture sont promus et décorés, ceux qui la dénoncent condamnés, à l’exemple du général de Bollardière. Au sein de l’État, des mesures administratives ou disciplinaires sont prises à l’encontre de ceux qui alertent leur hiérarchie. Dénonçant le déshonneur, Paul Teitgen a démissionné de son poste de secrétaire général de la Préfecture d’Alger, Robert Delavignette, gouverneur général de la France d’outre-mer et Maurice Garçon de la Commission de sauvegarde des droits et libertés individuels qui ne remplissait pas son rôle et Daniel Mayer de son poste de député. La liste est longue des avocats, journalistes, universitaires, éditeurs inculpés et condamnés par des tribunaux civils ou militaires, comme est longue la liste des journaux, revues et livres saisis et des organisations poursuivies pour avoir informé et alerté le pouvoir et l’opinion publique.

Signataire de l’Appel du 4 mars, Henri Leclerc, récemment disparu, a mis en garde : « L’État n’est ni fasciste ni raciste, mais il y a une faiblesse dans son contrôle qui permet le pire ». Le pire, symbolisé par la pratique de la torture durant la guerre d’Algérie. La reconnaissance que la torture a été théorisée, enseignée, pratiquée, couverte et exportée par les gouvernements d’un État signataire des Conventions de Genève est indispensable pour notre présent et notre avenir. Sans un retour sur cette page sombre de son histoire, rien ne préserve la République française de retomber dans les mêmes dérives. Il ne s’agit pas de repentance, mais d’un acte de réaffirmation et de confiance dans les valeurs de la nation.

C’est cette claire reconnaissance au plus haut niveau de l’État et ce travail de recherches historiques et juridiques que demandent les citoyens et citoyennes signataires de l’Appel du 4 mars de 24 associations pour la reconnaissance de la responsabilité de l’État dans le recours à la torture lors de la guerre d’Algérie.

Signataires de l’Appel du 4 mars 2024 pour la reconnaissance de la responsabilité de l’État dans le recours à la torture lors de la guerre d’Algérie

Linda Amiri, Maître de conférences en Histoire contemporaine, Université de Guyane

Chaouki Adjali, Économiste retraité

Nils Andersson, Ancien éditeur, président de l’Association Contre le Colonialisme Aujourd’hui (ACCA)

Charles Arambourou, Agrégé de Lettres classiques, ancien élève de l'ENA, magistrat honoraire - militant laïque

Samia Arhab, Journaliste, travail de mémoire Mon Algérie à moi

Francis Arzalier, Historien, membre de l’Association Française d’Amitié et de Solidarité avec les Peuples d’Afrique (AFASPA)

Bertrand Badie, Professeur émérite des universités

Patrick Baudouin, Avocat, Président d’Honneur de la Ligue des Droits de l’Homme (FIDH) et de la Ligue Internationale des Droits de l’Homme (LDH)

Florence Beaugé, Journaliste, auteur de Algérie, une guerre sans gloire

Bachir Ben Barka, Président de l'Institut Mehdi Ben Barka - mémoire vivante

Sarah Benilman, Auteur des podcasts Mazal

Michel Berthélémy, Ancien appelé à la guerre d’Algérie, membre de la 4acg. Association des Anciens Appelés en Algérie et leurs Ami.e.s Contre la Guerre

Colette Bocher, Professeure agrégée d'EPS (émérite), communiste (PCF), féministe, syndicaliste (SNEP/FSU), anticolonialiste.

Armelle Bothorel de Bollardière, Membre de la 4ACG, Association des Anciens Appelés en Algérie et leurs Ami.e.s Contre la Guerre

Romano Bottinelli, Réalisateur

Mehdi Boumendjel, Petit-fils d’Ali Boumendjel, avocat, pacifiste, torturé et assassiné pendant la guerre d’Algérie

Mustapha Boutadjine, Plasticien

José Bové, Ancien député européen

Rony Brauman, Médecin, essayiste, ancien président de Médecin sans frontières

Andrea Brazzoduro, Historien, MCF en histoire, Université de Naples L'Orientale

Catherine Brun, Professeure de littérature, Université Sorbonne Nouvelle

Rafael Casado, Responsable de l’Association Contre le Colonialisme Aujourd’hui (ACCA)

Gérard Chaliand, Spécialiste des guerres irrégulières

Alice Cherki, Psychiatre, essayiste

Jacques Choukroun, Historien

Vanessa Codaccioni, Professeure au département de science politique de l'Université Paris8. Référente handicap, Co-responsable du Master de science politique

Geneviève Coudrais, Avocate retraitée, militante pour les droits humains et contre le colonialisme (Algérie hier, Palestine aujourd’hui)

Laurent Dauré, Journaliste, membre du comité Assange

Marion de Bollardière, Membre de la 4ACG Association des Anciens Appelés en Algérie et leurs Ami.e.s Contre la Guerre

Michèle Decaster, Secrétaire général de l’Association Française d'Amitié et de Solidarité avec les Peuples d'Afrique (AFASPA)

François Demerliac, Documentariste, membre de l’Association Josette et Maurice Audin (AJMA)

Ouardia Faraoun, Membre de la direction de l’Association Contre le Colonialisme Aujourd’hui (ACCA)

Ouarda Feraoun-Tamine, Psychologue clinicienne à la retraite

Joelle Fontaine, Historienne 

Khaled Gallinari, Enseignant

André Gazut, Réalisateur, déserteur en 1960, rejoint Jeune Résistance

Julien Hage, Maître de conférence à l’université de Nanterre

Arlette Heymann-Doat, Professeure émérite de droit public, Université Paris- Saclay  

Stanislas Hutin, Membre de la 4ACG, maintenu sous les drapeaux en 1955. A révélé publiquement la torture dès juin 1956 dans la revue « Action populaire » et en 1957 dans « Des rappelés témoignent ».

Annick Jullion, Membre de la 4ACG, Association des Anciens Appelés en Algérie et leurs Ami.e.s Contre la Guerre

Christophe Lafaye, Docteur en histoire de l’université d’Aix-Marseille et archiviste, chercheur associé au LIR3S de l’université de Bourgogne

Jean Lagrave, Insoumis, emprisonné lors de la guerre d’Algérie

Rose-Marie Lagrave, Sociologue, directrice d'études à l'EHESS Paris, autrice de Se ressaisir. Enquête autobiographique d'une transfuge de classe féministe

Nicolas Lambert, Auteur, metteur en scène

Simon Lanot, Historien

Henri Leclerc, Avocat, Président d'honneur de la Ligue des Droits de l'Homme (LDH)

Olivier Le Cour Grandmaison, Universitaire

Alban Liechti, Soldat du refus, signataire de l’Appel des 12

Christian Mahieux, Syndicaliste SUD-Rail [Solidaires], éditeur (Syllepse)

Gilles Manceron, Historien, vice-président de l’Association Josette et Maurice Audin (AJMA)

Pierre Mansat, Ancien président de l’Association Josette et Maurice Audin (AJMA)

Laura Michelin, Chargée de mission au sein de SOS Racisme, Responsable du projet Regards croisés et testings

Paul-Max Morin, Docteur en sciences politiques, chercheur associé à Sciences Po, enseignant à l’Université de Nice-Côte d’Azur

Claire Mauss-Copeaux, Historienne de la guerre d’Algérie et chercheuse fuori strada

Annie-Claude Mozzani, Secrétaire générale de l’Association Contre le Colonialisme Aujourd’hui (ACCA)

Roland Nivet, Porte-parole national du Mouvement de la Paix

Tony Orengo, Réfractaire non violent à la guerre d’Algérie. Président des réfractaires non-violents

Jean-Philippe Ould Aoudia, Président de l'association Les amis de Max Marchand, de Mouloud Feraoun et de leurs Compagnons

Héliette Paris, Française d’Algérie au temps de la guerre d’Algérie

Serge Perrin, responsable légal du Mouvement pour une Alternative Non-violente (MAN)

Christian Phéline, Essayiste et historien de l’Algérie

Edwy Plenel, Journaliste, cofondateur de Mediapart.

Henri Pouillot, Appelé pendant la Guerre d'Algérie, témoin de la torture, militant anticolonialiste-antiraciste

Jacques Pradel : Président de l’Association Nationale des Pieds Noirs Progressistes et leurs Amis (ANPNPA)

Patrick Radjef, Militant associatif Forum France Algérie

Tarek Lucien Radjef, Insoumis 1958. Ingénieur électronicien. Retraité.

Jean-Pierre Renaudat, Association RépublicAine des Combattants pour l’amitié, la solidarité, la mémoirel’antifascisme et la paix (ARAC)

Fabrice Riceputi, Historien, animateur du projet Mille autres, sur la disparition forcée, la torture et les exécutions sommaires à Alger en 1957

Alain Ruscio, Historien spécialiste des colonisations

André Salem, Enseignant chercheur retraité, membre de la direction de l’Association Contre le Colonialisme Aujourd’hui (ACCA)

Alberto Segre, Cinéaste

Robert Simeon-Cadot, Réfractaire non-violent à la guerre d’Algérie

Jeanette Simon, Enseignante retraitée

Anne Simonin, Chargée de recherches au CNRS, Historienne des Éditions de Minuit

Evelyne Sire-Marin, Magistrat honoraire, vice-présidente de la Ligue de Droits de l’Homme (LDH)

Dominique Sopo, Président de SOS Racisme

Benjamin Stora, Historien

Nathalie Tehio, Présidente de la Ligue des Droits de l'Homme (LDH)

Catherine Teitgen-Colly, Professeure émérite de droit public, Université Paris1 Panthéon-Sorbonne

Christian Terras, Directeur des éditions Golias

Christian Travers, Ancien appelé en Algérie, membre de la 4ACG ; Association des Anciens Appelés en Algérie et leurs Ami.e.s Contre la Guerre

Lydie Vinck, Membre de la direction de l’Association Contre le Colonialisme Aujourd’hui (ACCA)

Farid Yaker, Militant associatif, président du Forum France-Algérie

Nous rendons hommage et fidélité à la mémoire de Jean Lagrave, Henri Leclerc et Alban Liechti disparus, leurs signatures sont précieuses.

[1] appel4mars.fr/signataires.html

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