Demande citoyenne de reconnaissance de la responsabilité de l’État dans le recours à la torture lors de la guerre d’Algérie
Les conflits actuels ramènent nos consciences aux horreurs de la guerre. Lors de la guerre d’Algérie, de 1954 à 1962, des crimes ont été commis sous la responsabilité des plus hautes autorités françaises. Jean-Paul Sartre écrit alors : « Si rien ne protège une nation contre elle-même, ni son passé, ni ses fidélités, ni ses propres lois, s’il suffit de quinze ans pour changer en bourreaux les victimes, c’est que l’occasion décide seule, selon l’occasion n’importe qui, n’importe quand, deviendra victime ou bourreau. »
Dès 1962, dans La Raison d’État, Pierre Vidal-Naquet pose la question : « Comment déterminer le rôle, dans l’État futur, de la magistrature ou de l’armée ou de la police si nous ne savons pas d’abord comment l’État, en tant que tel, s’est comporté devant les problèmes posés par la répression de l’insurrection algérienne, comment il a été informé par ceux dont c’était la mission de l’informer, comment il a réagi en présence de ces informations, comment il a informé́ à son tour les citoyens ? »
A l’époque comme depuis, des voix se sont élevées pour réclamer que l’État français reconnaisse ses responsabilités dans le recours à la torturepar les forces de l’ordre françaises. En 2000, l’Appel des douze, adressé au président de la République demandait de condamner ces pratiques par une déclaration publique. Cette exigence a été réitérée par l’Appel du 4 mars 2024 de vingt-quatre associations antiracistes, anticolonialistes et des droits de l’homme, demandant la reconnaissance de la responsabilité de l’État dans le recours à la torture lors de la guerre d’Algérie.[1] Pour porter plus avant cette demande, en ces moments du 1er novembre 2024, quatre-vingt-trois citoyens et citoyennes rendent public leur soutien à l’Appel du 4 mars.
Le président de la République Emmanuel Macron a reconnu, en septembre 2018, l’assassinat en 1957 de Maurice Audin par les militaires français qui le détenaient. Il a reconnu en mars 2021 l’assassinat de l’avocat Ali Boumendjel lors de sa détention ; et un communiqué de l’Élysée du 18 octobre 2022 a déclaré : « Nous reconnaissons avec lucidité́ que dans cette guerre il en est qui, mandatés par le gouvernement pour la gagner à tout prix, se sont placés hors la République. Cette minorité de combattants a répandu la terreur, perpétré la torture, envers et contre toutes les valeurs d’une République fondée sur la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen ».
La reconnaissance par l’Élysée de la pratique de la torture ne peut être imputée à une minorité de combattants français ayant agi à l’encontre des valeurs de la République, elle n’explique pas des dysfonctionnements de l’État et de ses institutions militaires, administratives et judiciaires. Il n’est toujours pas répondu à la question, comment, quelques années après la défaite du nazisme, a-t-il été possible que soit conceptualisée, enseignée, pratiquée et couverte, une théorie : la « guerre contre-révolutionnaire », justifiant le recours à la torture avec l’aval ou le silence de l’État, de l’armée et de la justice.
Cette doctrine se fondant sur le triptyque : « terroriser, retourner, pacifier », qui valide et justifie la torture, a été théorisée par des officiersde retour de la guerre d’Indochine, notamment le colonel Charle Lacheroy dont la conférence Scénario-type de guerre révolutionnaire a été publiée en 1955 sous l’égide du ministère de la Défense.
Enseignée dans les écoles militaires, elle sera mise en œuvre quand Robert Lacoste, ministre résidant du gouvernement Guy Mollet, transfère le 8 janvier 1957, les pouvoirs de police à une armée dont la doctrine légitime la torture pour l’obtention de renseignements. Il est créé à Arzew le Centre d’instruction à la pacification et à la contre-guérilla (CIPCG) et par le Centre de coordination interarmées (CCI), les DOP (Dispositifs opérationnels de protection), qui sont des écoles et centres de tortures.
Dans l’armée, ceux qui pratiquent la torture sont promus et décorés, ceux qui la dénoncent condamnés, à l’exemple du général de Bollardière. Au sein de l’État, des mesures administratives ou disciplinaires sont prises à l’encontre de ceux qui alertent leur hiérarchie. Dénonçant le déshonneur, Paul Teitgen a démissionné de son poste de secrétaire général de la Préfecture d’Alger, Robert Delavignette, gouverneur général de la France d’outre-mer et Maurice Garçon de la Commission de sauvegarde des droits et libertés individuels qui ne remplissait pas son rôle et Daniel Mayer de son poste de député. La liste est longue des avocats, journalistes, universitaires, éditeurs inculpés et condamnés par des tribunaux civils ou militaires, comme est longue la liste des journaux, revues et livres saisis et des organisations poursuivies pour avoir informé et alerté le pouvoir et l’opinion publique.
Signataire de l’Appel du 4 mars, Henri Leclerc, récemment disparu, a mis en garde : « L’État n’est ni fasciste ni raciste, mais il y a une faiblesse dans son contrôle qui permet le pire ». Le pire, symbolisé par la pratique de la torture durant la guerre d’Algérie. La reconnaissance que la torture a été théorisée, enseignée, pratiquée, couverte et exportée par les gouvernements d’un État signataire des Conventions de Genève est indispensable pour notre présent et notre avenir. Sans un retour sur cette page sombre de son histoire, rien ne préserve la République française de retomber dans les mêmes dérives. Il ne s’agit pas de repentance, mais d’un acte de réaffirmation et de confiance dans les valeurs de la nation.
C’est cette claire reconnaissance au plus haut niveau de l’État et ce travail de recherches historiques et juridiques que demandent les citoyens et citoyennes signataires de l’Appel du 4 mars de 24 associations pour la reconnaissance de la responsabilité de l’État dans le recours à la torture lors de la guerre d’Algérie.
Signataires de l’Appel du 4 mars 2024 pour la reconnaissance de la responsabilité de l’État dans le recours à la torture lors de la guerre d’Algérie
Linda Amiri, Maître de conférences en Histoire contemporaine, Université de Guyane
Chaouki Adjali, Économiste retraité
Nils Andersson, Ancien éditeur, président de l’Association Contre le Colonialisme Aujourd’hui (ACCA)
Charles Arambourou, Agrégé de Lettres classiques, ancien élève de l'ENA, magistrat honoraire - militant laïque
Samia Arhab, Journaliste, travail de mémoire Mon Algérie à moi
Francis Arzalier, Historien, membre de l’Association Française d’Amitié et de Solidarité avec les Peuples d’Afrique (AFASPA)
Bertrand Badie, Professeur émérite des universités
Patrick Baudouin, Avocat, Président d’Honneur de la Ligue des Droits de l’Homme (FIDH) et de la Ligue Internationale des Droits de l’Homme (LDH)
Florence Beaugé, Journaliste, auteur de Algérie, une guerre sans gloire
Bachir Ben Barka, Président de l'Institut Mehdi Ben Barka - mémoire vivante
Sarah Benilman, Auteur des podcasts Mazal
Michel Berthélémy, Ancien appelé à la guerre d’Algérie, membre de la 4acg. Association des Anciens Appelés en Algérie et leurs Ami.e.s Contre la Guerre
Colette Bocher, Professeure agrégée d'EPS (émérite), communiste (PCF), féministe, syndicaliste (SNEP/FSU), anticolonialiste.
Armelle Bothorel de Bollardière, Membre de la 4ACG, Association des Anciens Appelés en Algérie et leurs Ami.e.s Contre la Guerre
Romano Bottinelli, Réalisateur
Mehdi Boumendjel, Petit-fils d’Ali Boumendjel, avocat, pacifiste, torturé et assassiné pendant la guerre d’Algérie
Mustapha Boutadjine, Plasticien
José Bové, Ancien député européen
Rony Brauman, Médecin, essayiste, ancien président de Médecin sans frontières
Andrea Brazzoduro, Historien, MCF en histoire, Université de Naples L'Orientale
Catherine Brun, Professeure de littérature, Université Sorbonne Nouvelle
Rafael Casado, Responsable de l’Association Contre le Colonialisme Aujourd’hui (ACCA)
Gérard Chaliand, Spécialiste des guerres irrégulières
Alice Cherki, Psychiatre, essayiste
Jacques Choukroun, Historien
Vanessa Codaccioni, Professeure au département de science politique de l'Université Paris8. Référente handicap, Co-responsable du Master de science politique
Geneviève Coudrais, Avocate retraitée, militante pour les droits humains et contre le colonialisme (Algérie hier, Palestine aujourd’hui)
Laurent Dauré, Journaliste, membre du comité Assange
Marion de Bollardière, Membre de la 4ACG Association des Anciens Appelés en Algérie et leurs Ami.e.s Contre la Guerre
Michèle Decaster, Secrétaire général de l’Association Française d'Amitié et de Solidarité avec les Peuples d'Afrique (AFASPA)
François Demerliac, Documentariste, membre de l’Association Josette et Maurice Audin (AJMA)
Ouardia Faraoun, Membre de la direction de l’Association Contre le Colonialisme Aujourd’hui (ACCA)
Ouarda Feraoun-Tamine, Psychologue clinicienne à la retraite
Joelle Fontaine, Historienne
Khaled Gallinari, Enseignant
André Gazut, Réalisateur, déserteur en 1960, rejoint Jeune Résistance
Julien Hage, Maître de conférence à l’université de Nanterre
Arlette Heymann-Doat, Professeure émérite de droit public, Université Paris- Saclay
Stanislas Hutin, Membre de la 4ACG, maintenu sous les drapeaux en 1955. A révélé publiquement la torture dès juin 1956 dans la revue « Action populaire » et en 1957 dans « Des rappelés témoignent ».
Annick Jullion, Membre de la 4ACG, Association des Anciens Appelés en Algérie et leurs Ami.e.s Contre la Guerre
Christophe Lafaye, Docteur en histoire de l’université d’Aix-Marseille et archiviste, chercheur associé au LIR3S de l’université de Bourgogne
Jean Lagrave, Insoumis, emprisonné lors de la guerre d’Algérie
Rose-Marie Lagrave, Sociologue, directrice d'études à l'EHESS Paris, autrice de Se ressaisir. Enquête autobiographique d'une transfuge de classe féministe
Nicolas Lambert, Auteur, metteur en scène
Simon Lanot, Historien
Henri Leclerc, Avocat, Président d'honneur de la Ligue des Droits de l'Homme (LDH)
Olivier Le Cour Grandmaison, Universitaire
Alban Liechti, Soldat du refus, signataire de l’Appel des 12
Christian Mahieux, Syndicaliste SUD-Rail [Solidaires], éditeur (Syllepse)
Gilles Manceron, Historien, vice-président de l’Association Josette et Maurice Audin (AJMA)
Pierre Mansat, Ancien président de l’Association Josette et Maurice Audin (AJMA)
Laura Michelin, Chargée de mission au sein de SOS Racisme, Responsable du projet Regards croisés et testings
Paul-Max Morin, Docteur en sciences politiques, chercheur associé à Sciences Po, enseignant à l’Université de Nice-Côte d’Azur
Claire Mauss-Copeaux, Historienne de la guerre d’Algérie et chercheuse fuori strada
Annie-Claude Mozzani, Secrétaire générale de l’Association Contre le Colonialisme Aujourd’hui (ACCA)
Roland Nivet, Porte-parole national du Mouvement de la Paix
Tony Orengo, Réfractaire non violent à la guerre d’Algérie. Président des réfractaires non-violents
Jean-Philippe Ould Aoudia, Président de l'association Les amis de Max Marchand, de Mouloud Feraoun et de leurs Compagnons
Héliette Paris, Française d’Algérie au temps de la guerre d’Algérie
Serge Perrin, responsable légal du Mouvement pour une Alternative Non-violente (MAN)
Christian Phéline, Essayiste et historien de l’Algérie
Edwy Plenel, Journaliste, cofondateur de Mediapart.
Henri Pouillot, Appelé pendant la Guerre d'Algérie, témoin de la torture, militant anticolonialiste-antiraciste
Jacques Pradel : Président de l’Association Nationale des Pieds Noirs Progressistes et leurs Amis (ANPNPA)
Patrick Radjef, Militant associatif Forum France Algérie
Tarek Lucien Radjef, Insoumis 1958. Ingénieur électronicien. Retraité.
Jean-Pierre Renaudat, Association RépublicAine des Combattants pour l’amitié, la solidarité, la mémoire, l’antifascisme et la paix (ARAC)
Fabrice Riceputi, Historien, animateur du projet Mille autres, sur la disparition forcée, la torture et les exécutions sommaires à Alger en 1957
Alain Ruscio, Historien spécialiste des colonisations
André Salem, Enseignant chercheur retraité, membre de la direction de l’Association Contre le Colonialisme Aujourd’hui (ACCA)
Alberto Segre, Cinéaste
Robert Simeon-Cadot, Réfractaire non-violent à la guerre d’Algérie
Jeanette Simon, Enseignante retraitée
Anne Simonin, Chargée de recherches au CNRS, Historienne des Éditions de Minuit
Evelyne Sire-Marin, Magistrat honoraire, vice-présidente de la Ligue de Droits de l’Homme (LDH)
Dominique Sopo, Président de SOS Racisme
Benjamin Stora, Historien
Nathalie Tehio, Présidente de la Ligue des Droits de l'Homme (LDH)
Catherine Teitgen-Colly, Professeure émérite de droit public, Université Paris1 Panthéon-Sorbonne
Christian Terras, Directeur des éditions Golias
Christian Travers, Ancien appelé en Algérie, membre de la 4ACG ; Association des Anciens Appelés en Algérie et leurs Ami.e.s Contre la Guerre
Lydie Vinck, Membre de la direction de l’Association Contre le Colonialisme Aujourd’hui (ACCA)
Farid Yaker, Militant associatif, président du Forum France-Algérie
Nous rendons hommage et fidélité à la mémoire de Jean Lagrave, Henri Leclerc et Alban Liechti disparus, leurs signatures sont précieuses.