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Billet de blog 8 janvier 2015

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Pourquoi être solidaire avec Kobané ?

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Il est important de connaître l’Histoire, parce que la machine politico-médiatique à décerveler, à individualiser et à rompre les liens collectifs ignore l’Histoire des peuples, leurs luttes et leurs solidarités. Elle l’ignore pour occulter plus de cinq siècles de domination occidentale, elle l’ignore pour passer l’éponge sur le partage du Moyen-Orient, de l’Afrique ou des Balkans, quand les Puissances tiraient sur des cartes des frontières arbitraires, au mépris du passédes populations.

Si le Moyen-Orient nous confronte, avec une acuité et une violence extrêmes à cette exigence, c’est la conséquence de l’Histoire passée, mais également présente, celle du Nouvel Ordre mondial annoncé par Georg Bush senior,  « Un monde dans lequel la liberté et les droits de l'homme sont respectés par toutes les nations »[1].

Sauf que, l’objectif politique n’était pas la liberté et les droits humains, mais d’établir l’hégémonie mondialisée d’une idéologie, celle du néo-libéralisme économique, d’une concurrence généralisée et sans entrave entre les peuples, d’une individualisation méthodique des hommes et des femmes, détruisant les liens sociaux qui fondent leur capacité d’être ensemble et leur force d’intervention. Sauf que, dans les faits, la volonté était de maintenir et de conforter l’hégémonie du monde occidental et cela, y compris, par le recours à la violence de la guerre. Vingt-cinq ans après, l’état du monde, l’état du Moyen-Orient sont le résultat de ces politiques.

Connaître l’Histoire, cette boussole nécessaire à tout projet d’émancipation des peuples, c’est démêler les fils du sombre enchaînement d’interventions armées répondant aux intérêts géopolitiques et économiques des États-Unis, de leurs alliés au sein de l’OTAN et des féodalités arabes. Des guerres où sont employés les moyens militaires les plus sophistiqués, où 85 à 90% des victimes sont des civiles, où le droit international humanitaire est systématiquement violé. Ce retour aux « guerres justes » sous le label du « droit d’ingérence humanitaire » ou du « devoir de protéger », est cause de tragédies humaines, de sociétés déchirées dans la haine et le sang, d’États en lambeaux.

Dans ce Moyen-Orient désagrégé, comme les contradictions interimpérialistes ont engendré l’abomination nazie en Europe, la « guerre absolue dans toute son énergie écrasante » a engendré le monstre qu’est Daesh. Confronté à ce monstre, il ne peut y avoir d’ambiguïté, il est nécessaire de le combattre et de le juguler, ce que symbolise la résistance de Kobané.

D’où vient Daesh ? Initialement, des groupes furent financés par la CIA et par des sources associatives pour, dans le contexte de la guerre froide, combattre l’ingérence de l’Union soviétique en Afghanistan. Mais, l’allié de circonstance va devenir un ennemi. S’appuyant sur la complexité d’intérêts divergents entre grandes puissances et puissances régionales, sur les ingérences extérieures, sur des schismes communautaires et confessionnels, sur la désagrégation du tissu social, sur des sentiments claniques et tribalistes, va se répandre un discours de soumission aux commandements oppressants et aliénants du djihad de l’épée 

À l’encontre de ce cours mortifère, parmi les peuples du Moyen-Orient et du monde arabe, ceux qui sont porteurs de valeurs émancipatrices et libératrices résistent à la déliquescence de la région, aux pouvoirs réactionnaires et féodaux qui les gouvernent, aux discours obscurantistes et autocrates. Quand on est nié socialement dans ses droits premiers que sont manger, l’accès à l’eau, à un habitat, aux soins, il est légitime de se révolter. Quand ont se voit refuser son identité, son appartenance à un peuple, à une culture, à un espace géographique, cela est inéluctablement ressentis par les populations comme attentatoires à sa communauté, à sa mémoire, il est légitime de se soulever, plus encore quand ont est agressé.

C’est ce que fait entendre au monde la résistance de Kobané, la résistance du peuple Kurde et de tous ceux, Arabes, Arméniens, Syriaques… qui luttent au Rojava dans un front commun, les armes à la main, contre Daesh. Ils sont des combattants de la liberté qui répondent à la violence armée comme le firent les Vietnamiens sur les hauts plateaux de Tây Nguyên, les moudjahidin algériens dans les Aurès, les Sud-Africains dans les bidonvilles de Soweto.

Les peuples ne font jamais le choix de la guerre, c’est quand n'existe pas d’autre voie possible pour s’opposer aux politiques de domination, à l’agression extérieure, aux exactions des pouvoirs totalitaires, à l’horreur de la barbarie, qu’ils prennent les armes pour défendre leur liberté, leurs droits, leur sol, leur dignité.

La lutte armée imposée, le front militaire est alors essentiel, mais à Kobané ce front militaire est trahi par le gouvernement turc, déserté par la France et par l’Europe, les États-Unis n’interviennent pas de façon décisive, un Moyen-Orient en crise assurant le maintien de leur contrôle sur la région. La conséquence de ses intérêts particuliers conjugués est le refus d’aider avec des armes la résistance à Kobané.

La cause de Kobané, comme toutes les causes légitimes, est porteuse de solidarité internationale. Comme l’a écrit Bertold Brecht : « Là où règne la violence, il n'est de recours qu'en la violence ; là où se trouvent les hommes, seuls les hommes peuvent porter secours ». Pour sortir de l’engrenage conflictuel, attisé par le cours de la mondialisation, des intérêts étroits des grandes puissances, des politiques interventionnistes et des pouvoirs autoritaires et despotiques, la cause de Kobané est celle de tous les peuples du Moyen-Orient et dans le monde. Si Guernica est le symbole trahi d’un mouvement internationaliste exemplaire face à la barbarie fasciste, Kobané doit devenir le symbole d’une solidarité émancipatrice face à la barbarie obscurantiste, ne laissons pas la résistance désarmée ; ne laissons pas Kobané seul, l’internationalisme est un beau mot !

Sur la base d'interventions faites en Turquie, novembre 2014


[1] Discours de Georges Bush adressé au Congrès le 6 mars 1991.

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