Le dimanche 2 février, Bart De Wever est devenu Premier ministre de la Belgique. C’est rare, un événement de cette ampleur, et comme bon professeur de Philosophie & Citoyenneté que je suis je saute dessus. C’est l’occasion de commencer le cours par un bon vieux : vous savez ce qu’il s’est passé ce weekend ? Et, je ne vais pas mentir, l’occasion en amont de me renseigner parce que c’est en croisant ma coloc Lou dans la cuisine que j’ai appris qu’on avait un nouveau Premier ministre – ça et l’existence de monsieur BDW. Parce que oui, les élections ont eu lieu en juin mais le gouvernement a mis sept mois à éclore. Cette semaine, je vous emmène entre cours et préparation de cours pour essayer de savoir comment sensibiliser les élèves à l’accession de l’extrême-droite au pouvoir.
Je me renseigne donc un peu sur le parcours de l’homme. Dans ce cas-là, je lis toujours la bonne vieille page Wikipédia qui permet de faire un succinct tour de la question. Si je reprends son contenu, il y est dit qu’il « préside la N-VA (Nieuw-Vlaamse Alliantie, la Nouvelle Alliance flamande en français), parti politique nationaliste de droite ».
Je suis d’abord surpris de cette appellation : « parti politique nationaliste de droite ». J’ai envie de me demander pourquoi la précision « de droite » est accolée à « nationaliste ». Si on va sur la page Wikipédia du parti, on a alors « un parti politique belge nationaliste flamand de centre droit à droite ». Je me permets donc de formuler l’hypothèse qu’en renseignant « de droite » il est question de se distinguer de l’extrême-droite.
L’ennui avec Wikipédia c’est qu’on a affaire à un discours sans source officielle, c’est-à-dire que les participants sont issus de la société civile – idéalement – et que donc on ne sait pas trop qui choisit les mots. Pour prendre un exemple avéré, dans les années 2010 des groupes d’administrateurs de l’encyclopédie dans sa version croate l’ont utilisée afin de diffuser « un révisionnisme historique manifeste ». Ainsi, pensant consulter une ressource de réputation neutre, une personne visitant la version croate de l’encyclopédie avait en fait affaire « aux récits d'organisations et de groupes politiques que l'on peut définir comme la droite radicale croate ». Comment donc se renseigner sur le politique et trouver un discours neutre sur ce dernier ? Plus précisément, un discours accessible et clair, notamment pour mes élèves qui ne comprennent pas toujours ce qu’est l’extrême-droite par exemple.
Un truc, noir sur blanc, qui dirait « l’extrême-droite c’est ça, ça ça et ça, et ce n’est ni ça, ni ça, ni ça. »
Parce que moi j’ai mon avis sur la question. Dans le programme pour les troisième et quatrième il y a l’item « Discours et pièges du discours ». Quand je lis Nicole de Moor qui souhaite arrêter d’accueillir les demandeurs d’asile seuls, je vois la politique qui se trame derrière. Je vois qu’on est dans l’accueil conditionnel, qu’on est dans la hiérarchisation des êtres humains, qu’on est dans le refus de solidarité et donc purement et simplement dans une politique d’extrême-droite. Mais si c’est moi qui le dis à mes élèves, est-ce que ça a la même valeur ? Est-ce que ça a plus de valeur qu’un autre professeur qui défendrait cette mesure en disant qu’elle est juste ? Je ne crois pas, car ils auraient juste affaire à deux discours différents, sans qu’ils aient eu l’occasion eux-mêmes de faire le cheminement et de constater ce qui leur parait juste et souhaitable – les plaçant ainsi sur l’échiquier politique. Il faut donc que ce soient eux qui fassent le travail.
Toujours dans ma séquence sur le journalisme, on passe à l’audio avec cette chronique de Charline Vanhoenacker. C’est une Belge qui explique aux Français le résultat des élections. C’est pédagogique. C’est simple. Certes elle penche plutôt à gauche et n’est pas réjouie du résultat mais elle utilise pour qualifier la politique de BDW les termes « nationaliste » et « séparatiste ». Plutôt donc que de placer sur l’échiquier politique, j’essaye de faire cogiter les élèves pour qu’ils comprennent ce qui est proposé. Qu’ils ne disqualifient pas par principe – ah, les droitards versus ah les gauchiasses – mais qu’ils se forgent un avis sur la question. Pas de la propagande, plutôt de l’éducation politique et, soyons honnête, l’espoir caché dans un coin qu’ils tirent des conclusions similaires aux miennes.
Je commence donc, après avoir passé l’extrait : c’est quoi le séparatisme ? Il y a un mot que vous connaissez dedans. Ok, séparer. Dans le séparatisme, qu’est-ce qu’on veut séparer ? Oui, la Flandre et la Wallonie. Là, par exemple, vous avez le projet. Mais est-ce que vous savez pourquoi on veut faire ça ? Quel est le but derrière et quels arguments sont utilisés ? Oui, l’argent. Effectivement, on décide qu’une partie de la population coûte plus qu’elle ne rapporte. On décide ou on constate cela dit. On constate puis on décide en fait. On décide qu’on n’est pas d’accord et que donc on souhaite se séparer de ces gens. Qu’est-ce que cela veut dire d’un point de vue humain ? Comment un séparatiste flamand considère-t-il les Wallons ?
Et encore une fois, toujours ramener au quotidien de mes chers élèves. Votre pote, à nouveau, n’a pas d’argent un midi pour manger, vous l’avancez ou est-ce que vous décidez que c’est trop et vous vous en séparez ? Ou alors, encore mieux, vous connaissez sa situation familiale et vous savez que ses parents galèrent à trouver du travail tandis que tout va bien pour les vôtres. Qu’est-ce que vous faites ?
Pour vous, ô lectorat, je vous mets ce petit extrait de l’article Wikipedia qui en dit un peu plus sur le regard porté par notre Premier ministre sur la Wallonie.
Le 6 janvier 2005, il [BDW] attire l'attention du grand public en menant un convoi de 12 camionnettes dans le sud du pays. C'est le nombre de véhicules qui serait, selon son parti, nécessaire pour transporter, en coupures de 50 euros, l'argent versé chaque année par la région flamande aux régions wallonne et bruxelloise. Il fait symboliquement verser ce faux chargement au pied de l'ascenseur à bateaux de Strépy-Thieu, situé en région wallonne. Bart de Wever veut dénoncer par là les transferts financiers, qu'il estime trop élevés, de la Flandre vers la Wallonie. Il s'en expliquera plus tard : « C'était une action très extrême et, allez, pas très fine, admet Bart De Wever. Je voulais signifier que la Flandre est prête à une solidarité efficace, mais pas à des transferts sans fin et sans conditions. »
Je continue sur le deuxième terme. Et le nationalisme ? Pareil, il y a un mot que vous connaissez là-dedans. Nation. C’est quoi une nation ? Personne ne sait répondre. Ah oui, ok. (Là, je me rends compte qu’ils sont à l’école pour apprendre et que c’est sans doute normal qu’ils ne savent pas mais je me retrouve à expliquer en cinq minutes un truc qui devrait en fait faire tout un cours je pense. J’improvise.) Bon, moi je connais mieux la France car comme vous savez je suis français. (Là, il y en a toujours un qui dit « eh mais vous faites la route tous les jours monsieur ? » même si c’est la cinquième fois que je le dis et je réponds que non et que j’ai déménagé bien sûr à Bruxelles). Eh bien en France on enseigne l’histoire en même temps que la géographie. Comme ici en fait, on est d’accord ? (Toujours poser une petite question rhétorique de temps en temps pour les garder à l’affût.) Et on a commencé à enseigner ça dans les années 1870. Il y a 150 ans en fait. Et à l’époque, la France vient de perdre la guerre contre la Prusse – c’est comme ça qu’on appelle l’Allemagne à l’époque. Et en perdant la guerre elle a perdu deux territoires. L’Alsace et la Lorraine, peut-être que vous connaissez ? Et nous, en France, le projet c’est alors de reconquérir ce territoire. Et en faisant l’histoire et la géo ensemble on dit : cet endroit, ce territoire, il a une culture, et cette culture elle est française, et donc la partie que les Prussiens ont prise en fait ils nous l’ont volée car elle est de culture française et ce serait bien plus dans l’ordre du monde que cette région nous revienne. Et donc, on transmet le sentiment de nation aux élèves, leur disant que leur appartenance ne se fait pas seulement à l’échelle de leur fratrie ou de leur famille. Ils appartiennent à une école, une ville, un département, une région, un pays ! Et ce pays, il faut être capable de pouvoir le défendre sans trop se poser de questions et donc quelque part il faut en être fier pour se dire que si jamais on fait la guerre à un autre pays on aura la raison de notre côté.
Je m’égare quelque peu alors qu’en rentrant à la maison le même jour, racontant la scène à Marie, je lui explique qu’un élève m’a dit tout de go : « la nation, non, je ne vois pas ce que c’est ». Et elle de me dire que tout était là : on parle de quelque chose qui parait naturel dans les discours de droite alors que c’est une construction humaine et que cet élève, justement, ne conçoit pas cette notion parce qu’on ne la lui a pas inculquée. Et tout aurait pu être là mais je n’ai pas saisi l’élève au vol.
Après le déjeuner, je prépare mes cours pour la semaine prochaine où j’ai dit qu’on présenterait l’idéologie d’extrême-droite. Je l’avais déjà dit dans une autre newsletter : c’est complexe de trouver un discours accessible présentant les valeurs politiques. Je passe mon temps à me renseigner pour les élèves, à trouver de nouvelles choses et finalement à peaufiner ma culture politique à moi mais c’est toujours complexe de trouver quelque chose pour eux. Des textes qui ne nécessitent aucune référence historique, qui ne mentionnent aucune personnalité politique, qui ne se moquent pas par sous-entendu en laissant faire à chacun.e son bonhomme de chemin pour percevoir la critique faite au système. Un truc, osons le mot, accessible.
J’ai décidé d’aller plus loin que Wikipédia donc. J’ai tapé « partis politiques belges définition » dans google et je tombe sur belgium.be. J’ai pensé que là j’aurais un peu de neutralité, de « untel a tel projet », sans détours, sans enrobage. Eh bien sur cette page intitulée Partis politiques nous avons la liste des douze partis élus au Parlement fédéral et… des hyperliens qui renvoient vers leurs sites officiels. Où donc trouver des informations claires avec le programme et transparents ? Il y a une FAQ dont je vous mets ici des extraits - les parties en gras le sont sur le site, les mots soulignés le sont par moi.
« La N-VA est un parti nationaliste flamand. Notre nationalisme se caractérise cependant… » ; « La N-VA n’est en aucun cas un parti néolibéral : elle ne défend pas le principe du « laisser faire, laisser passer ». Mais… » ; « La N-VA croit résolument en la force de communauté. Nous sommes un parti fédérateur de communauté. En Europe aujourd’hui, cette caractéristique est généralement considérée comme conservatrice et, malheureusement, le plus souvent empreinte d’une connotation péjorative. Nous pensons pourtant… » ; « La N-VA ne veut pas continuer à se faire entendre inutilement depuis le banc de touche dans l’espoir de conserver sa propre virginité politique. Nous ne sommes pas un éternel parti d’opposition, mais… »
On a donc affaire à un discours. Un discours sur soi-même je dirais, qui n’est pas un discours informatif mais un discours à visée persuasive. Le but n’est pas seulement d’informer mais surtout de convaincre les potentiels électeurs visitant ce site. Je souligne les adverbes marquant l’opposition car ils me paraissent caractéristiques du discours de l’extrême-droite qui tente de dire qu’elle est tout sauf de l’extrême-droite. Un peu l’équivalent, un chouïa tiré par les cheveux je vous l’accorde, du « je ne suis pas raciste mais… » Je continue donc de chercher et tombe sur Bruxelles-j qui me dit ça - même remarque que précédemment concernant le gras :
Le nationalisme
Dans son premier sens, le nationalisme est une doctrine qui défend le droit pour un peuple (ethnique, culturel, religieux, etc.) de former un État-Nation. Un État-Nation est un État dont les citoyens se reconnaissent comme un peuple et/ou comme une communauté ethnique ou religieuse par exemple.
Dans son second sens, le nationalisme est un courant politique basé sur l’exaltation des valeurs nationales. En ce sens, il peut s’apparenter au chauvinisme ou au patriotisme.
Si le programme de la NV-A (Nieuwe Vlaamse Alliancie) est très large, une partie de ses idées, et notamment la notion de la Flandre comme Nation ayant le droit de prendre son indépendance relève de l’idéologie nationaliste.
Certains courants nationalistes vont jusqu’à prôner la primauté de la nation sur tout le reste. Dans cette idée, la nation et sa population doivent être priorisées à tout prix, notamment par rapport aux autres peuples et aux autres nations. Ce type de nationalisme est une des caractéristiques de l’extrême-droite (même si tous les partis nationalistes ne sont pas d’extrême droite, tous les partis d’extrême droite sont en général nationalistes).
On peut lire en bas de la page A propos du site que « Bruxelles-J est reconnu comme dispositif d’information des jeunes dans le cadre de la Youth Garantee en Région de Bruxelles-Capitale, et fonctionne grâce aux soutiens d’institutions publiques. L’ASBL est financée par la Région Bruxelles-Capitale, la Fédération Wallonie-Bruxelles, la Commission Communautaire Française et la Commune d’Ixelles. » Est-ce qu’on s’approche d’une définition neutre de la chose ?
On aurait donc une définition du nationalisme qui aiderait les élèves potentiellement à comprendre clairement les idées défendues par le chef du gouvernement. Toutefois, on a cette semaine un membre de la coalition – Denis Ducarme, membre du Mouvement Républicain – qui dit : “C’est un gouvernement qui barre la route au nationalisme et au séparatisme. C’est pour ça que le MR s’y trouve. ” (Propos rapportés dans un article du site 7sur7). Discours et pièges du discours, que comprendre alors pour les élèves ? Quel est le projet de ce gouvernement ? Même moi je m’y perds…