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Billet de blog 11 novembre 2025

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S02E07 Disses, droits humains et coenseignement

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Il est en fond de classe. Vieux, t’as pas vu la vidéo de l’Américain qui afone une bouteille de whisky ? Il se lève, marche vers celui qui a l’ordinateur puis, geste qu’on connait tous maintenant, il lui dicte la requête à taper dans google pour trouver, attend que ça charge puis lui dit pas celle-là pas celle-là ah oui, c’est lui. Et paf. Moi je suis de l’autre côté de l’ordinateur, j’essaye d’élaborer un cours. Je finis par venir voir, au moment il fait la pause entre deux moitiés. Décevant. Enfin vous voyez quoi, on l’a tous déjà vue cette vidéo.

Bref, vient plus tard un élève et sa maman, voir ce prof. Elle est prof également précise-t-elle. Franchement c’est absolument cringe les réunions parents profs. Vous venez pour prendre des scoops sur ce bonhomme ? Asseyez-vous madame. Puis ça déroule. Oui c’est bien. Oui il fait ceci, oui il fait cela. Non, je trouve qu’il manque de travail. Et petit hic. Ah bon il est dyslexique ? Oh, moi j’ai pas trop vu. Mais vous savez, faut pas se cacher derrière les « disses ». Moi y’avait pas ça à mon époque. Ce qu’il faut, c’est la concentration. Pas bosser des heures, savoir se mettre quelque part et y aller. Moi c’est ce que je faisais. Donc, oui, les disses, te repose pas dessus mon vieux. Que ça soit pas ton excuse.

J’allais dire que je ne sais pas quoi penser de ce discours parce que peut-être y a-t-il finalement derrière une volonté de motiver l’élève mais en fait ce qui m’énerve je crois c’est qu’il n’a pas laissé la parole à la mère, qu’il n’a pas vraiment posé de questions, qu’il a par son comportement discrédité tout le travail de collègues qui sont justement là pour aider les élèves qui souffrent de dyslexie, qui ont un vrai métier tout à fait utile. Bref, c’est toujours plus agréable de partager la salle de réunion avec des profs avec des gens qui nous inspirent.

Ou tout simplement, de partager la salle de réunion. Une de mes collègues s’est faite agresser verbalement en réunion avec un.e parent.e. Elle était seule, porte fermée, pétrifiée. Je pense que ce ne serait pas arrivé avec une autre personne dans la salle, pas dans ces dimensions là en tout cas. Il y a eu une plainte de déposée tout de même. C’est pas rien.

Mais revenons à nos moutons qui n’en sont pas. C’était la rentrée cette semaine et je vais vous dire un peu le grain que j’ai à vous moudre. En classes entières, je n’ai plus que du premier degré et des primo-arrivants, le reste étant en option, soit les moments où je vous raconte une expérience de classe avec sept protagonistes grand max.

On avait deux jours de formation et j’ai donc j’ai entamé avec quelques classes un travail sur les droits humains. Pour les autres, j’ai eu deux fois une interaction tête à tête avec un.e élève que je n’avais pas encore eu et on a plutôt parlé de ce dont on allait parler.

Alors, c’était quoi ce travail sur les droits humains. D’une, je l’ai trouvé via Amnesty International. De deux, voici comment ça s’est passé en classe. J’étais avec une classe de deuxième qui voulait faire plus de travail en groupe. Je suis donc arrivé avant ma première heure, j’ai réinstallé les tables pour faire des petits ilôts de quatre. Je fais monter les élèves. Je les arrête devant la salle. On se met en rang. On m’écoute. A votre conseil de classe, votre camarade Bernardo* a dit que vous souhaitiez travailler plus souvent en groupe. J’ai donc mis ça en place, voir si ça va puis peut-être on continuera.

Je sors d’une formation sur le coenseignement où on évoque la notion d’explicite en disant que la plupart des consignes qu’on donne ne le sont pas parce qu’on a plein d’automatismes que les élèves – et même n’importe qui en fait – ne peuvent pas comprendre. Je veux dire, relisez le paragraphe au-dessus et demandez-vous quelles sont les règles qu’il va falloir suivre pour que l’activité soit menée à bien et que, satisfait, je relance l’opération la semaine suivante ?

Relisez une deuxième fois et mettez-vous dans la tête d’un enfant de treize ans, un lundi matin, qui n’a pas vu ses camarades du weekend et qui s’apprête à travailler en groupe.

Donc, je les fais rentrer en faisant des groupes par numéro. De 1 à 4, sur cette table, de 5 à 8 ici… C’est pas du tout fluide, je leur dis de se mettre sur telle table puis j’ai oublié les numéros de cette table, puis je les vois pas assez souvent pour connaître leurs prénoms à toustes. Ils finissent par s’asseoir, j’ai pas eu de chouinage pour groupe qui ne conviendrait pas donc je suis plutôt content. On commence, j’ai déjà écrit la consigne au tableau.

Vous êtes en groupe, il faut dessiner un être humain sur votre feuille. J’ai prévu les feuilles au cas où ils n’en auraient pas. Je prends du brouillon, pour leur montrer que j’ai du papier gratos mais il est moins bien que celui qu’ils auraient. Certain.e.s dessinent pas trop. Encore une fois, suite à ma formation je me dis qu’il me manque un minuteur pour qu’ils visualisent le temps qu’ils ont. Une fois le dessin terminé je leur dis de trouver un nom à ce personnage.

Il y a ce petite groupe avec un élève qui me soule un peu, qui se croit un peu trop malin, vous voyez ? Je passe à côté, le motive, les motive, puis je vais voir les autres puis je reviens et je vois qu’il a mis un nom. Hitlair. Roh putain il casse les couilles le jeune là. Je dois me mettre dans le personnage du redresseur de torts, ce que je fais. Je parlais de ça avec une collègue hier mais franchement, parfois ils sortent juste des dingueries absurdes et c’est dur de savoir comment réagir. Comment être efficace dans la réaction. Je vous passe les détails mais j’ai fini par appeler la mère qui m’a mis un petit tunnel mais qui n’était pas méchante. Mais vous voyez quoi, l’élève qui lâche pas le morceau. « Non, je comprends pas pourquoi vous voulez appeler ma mère. »

Chaque groupe de trois/quatre a donc sa feuille. Maintenant, je leur demande d’écrire ou dessiner ce dont a besoin cet être humain pour être heureux ou heureuse, en sécurité et en bonne santé. Et ils y vont. Avec plus ou moins d’entrain.

Autre variante : avec la classe d’après, des primo-arrivants moins nombreux, je les ai mis en cercle et en fait à chaque étape on fait tourner la feuille. On dessine un être humain. On tourne. On écrit son nom. On tourne. Là j’interroge sur une de ces données. On me dit par exemple « dormir » puis je fais préciser « un lit » puis chacun.e dessine sur sa feuille. Puis on passe. Rebelote jusqu’à en faire une petite dizaine. Je précise que je fais moi aussi une feuille.

On finit par une mise en commun, dans la première option, de tous les besoins humains qu’on a donc précisés conjointement. Et là on questionne sur qui n’a pas accès à ça, qui manque de ça, et qu’est-ce qu’on peut faire pour pallier ce manque. Ce devient d’un coup un énorme sujet, mais tant mieux parce que ça sonne. La suite au prochain épisode.

Et pour les deux autres élèves avec qui je suis en solo, il se trouve que je suis dans le salon et que ça dort dans la chambre donc je n’ai pas accès à mon petit carnet. C’est pas grave. Une chose que j’avais envie de retenir, qui vraiment me ravit au plus haut point, c’est que quand tu parviens à mettre un climat de confiance et que tu demandes à un élève de quoi il souhaiterait parler eh bien il sort du mutisme et il se révèle. Je veux dire, iel a des envies, des questions, des doutes, mais surtout des intuitions. Parce que oui, l’élève qui me parle du conflit israélo-palestinien en témoignant d’un peu d’émotion et de confusion parce qu’il a envie de comprendre mais ne sait pas par où commencer. Bah tout le rôle du prof est là, de faire changer le regard curieux et perdu en regard un brin satisfait. Il veut en parler. Il reste un peu d’humanité, de considération. C’est super.

*Bernardo est un nom d’emprunt, entendons-nous.
J'étais de rassemblement hier et nos camarades ont été nassé.e.s, poussé.e.s, violenté.e.s. Ce sera peut-être dans le prochain billet mais si vous souhaitez vous renseigner à ce sujet en lisant le communiqué de presse rédigé par les personnes présentes lors de cette manifestation : https://www.instagram.com/ecoleenlutte/?hl=fr. 

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