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Billet de blog 12 octobre 2025

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S02E05 Liberté chérie, des élèves investis et la mort du petit cheval

On commence avec les réponses à des questions d'élèves de deuxième sur le thème de la liberté. On enchaîne avec les intérêts divergents de l'enseignement public qui oscille entre démocratisation et investissements. On finit avec un court-métrage qui fait parler mes DASPA.

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Désolé de l’absence mais il fallait, après en avoir été privé, profiter un peu de la vie. J'enlève toute potentialité tragique à mon histoire, ce qui se cache derrière cette absence c'est un médecin qui après m'avoir ausculté m'a dit "ah, vous êtes prof, bah voilà". La gastro quoi, pas besoin de sortir les crayons de couleur. Je fais un fanzine aussi avec une amie et ça prend pas mal de temps. Bref, me revoilà, j'avais juste mis l'énergie ailleurs - en classe notamment, rassurez-vous.

On arrive déjà à la saison des bulletins et donc je retrace les travaux non notés que je donne aux élèves. Non cotés, parlons un peu belge, mais qui me donnent des indices quant à l'entrain qu'iels ont pour le cours. Alors, pas de légende urbaine du type "je leur ai demandé c'est quoi l'audace et le petit m'a écrit 'c'est ça' et paf il m'a rendu sa copie et je l'ai félicité". Plutôt, en l'occurrence, une double-page tirée d'un numéro de Philéas et Autobule où il est question de liberté. Une vingtaine de propositions que les élèves parcourent, en vrac, et auxquelles iels répondent librement. Si vous voulez mon avis, je suis un peu à côté de la plaque en proposant ça parce qu'on parle d'une classe de seconde et que leur dire que la consigne c'est qu'il n'y a pas de consigne ça les laisse bouche béante.

Tout de même. C'est un travail que je leur ai donné à l'écrit pour que chacun.e puisse s'exprimer. Que j'aie un aperçu des timides, d'une parole débridée et qui n'a pas peur du regard de l'homologue. Qui peut-être en fait des caisses pour émerveiller le prof qui les lira. "Rho, il a été malin sur ce coup, qu'il est fortiche ce petit silencieux."

A défaut d'avoir une correspondance avec mes neveux, je crois que donner un travail écrit, avec des petites phrases toutes simples à écrire, voire même simplement des mots, est un moment purement poétique. Je ne donne pas assez de travaux écrits pour être soulé des tas de copies et j'ai donc le bonheur de conserver cette posture.

Je vous retrace ce qui s’est dit pour des réponses à cet exercice intitulé « Questions de liberté ». C’est trop mignon. Mignon et moche, parce qu’ici je vous les retranscris dans une police très formelle. J’ai gardé les fautes d’orthographe et ça pourrait paraître classiste ou méprisant mais c’est juste pour garder un peu de cette ingénuité. Parce que je leur donne une feuille et il n’y a pas de ligne dessus, juste des questions et elles et eux qui doivent écrire là où ils peuvent. Clairement, c’est un traquenard que je leur mets car ils ont treize ans en moyenne. Il leur faudrait des lignes. Mais non.

Comme c’est plaisant de les décrypter. En vieillissant c’est les ordonnances des docteurs qu’on décrypte, mais que dire d’un décryptage à la question « Quel est ton souvenir préféré de cet été ? » que j’ai lu il y a un mois et que je ne comprenais pas puis que je vous retranscris ici. « jai atrape un lenzar en Italie ». Je le comprends, maintenant. J’ai attrapé un lézard en Italie. Et en fait, le décrypter c’est me concentrer sur ce qu’il a dit et finalement lui donner plus de valeurs que quand ça coule tout doux. Comme quand vous écoutez du free jazz peut-être ? On n’y comprend rien - contrairement à l’affaire Sarkozy - et il faut prêter l’oreille, la tendre, l’ouvrir bien grande pour débroussailler le tout et comprendre le message. Et ce n’est qu’en s’impliquant comme ça qu’on apprécie vraiment la saveur de la chose. Donc oui, s’ils m’envoyaient des réponses comme je vous les livre ici, en caractères imprimés, là je me ferais sans doute chier. Mais je bois un café délicieux, je fouille et la vie devient quelque chose de bien simple quand on lit leurs réponses. Elles ont déjà toute la complexité que nous aurions mais elles simplifient. La nuance devient du « oui et non » purement et simplement.

C’est bien évidemment la flemme qui fait répondre seulement oui ou non, parce que peut-être que de leur côté il n’y a pas cette envie de broder sur les dangers de la liberté, de raconter des histoires sur un animal qui incarnerait la liberté, sur le récit de la dernière fois où iels se sont sentis libres… Mais je vais aller les chercher comme je suis allé chercher mes copaines pour les faire écrire et dessiner dans L’Escamoteur. Ça prendra plus de temps, mais j’aurai leurs histoires à vous raconter. J'arriver à les faire détaire. Je m’y engage.

1. La liberté est-elle dangereuse ?

Oui car si on donne la liberté à tous le monde sa va pété

Si tu fait trop de mauvais truc

Oui, un homme pourrait volé ou tué n’importe qui qu’il va l’embéter

Oui comme on peux faire des trucs dangereux

Oui parce que y’a des criminels qui son libre

Oui et non parce que si on laisse trop de liberté oui sa va devenir dangereu

Non car on fera rien de mal

2. Si la liberté était un animal, ce serait…

Un chat car il sort quand il veux il fait se qu’il veux

Lion

Pigeon

L’oiseau il vole en liberté dehors

Panda

3. Imagine un monde où la liberté n’existerait pas. Que penses-tu qu’il s’y passerait ?

On s’ennuira un peux comme l’école

On serait plus des humains mais des robot

Les gens n’on pas de liberté

Ça serait la dictature :) (note de l'auteur : l'élève m'a mis un smiley juste après. C'est une super élève, sympathique et qui participe. Mais que dire ? Pourquoi ? Je n'ai pas saisi, si vous avez une interprétation livrez-la moi en commentaire.)

Sa serait triste

La personne sera triste sont liberté personne qui reste dans la maison ont fait rien

4. Mime la liberté

On garde la main sur le coeur est on l’eve le bras gauche

5. Décris la dernière fois que tu t’es senti.e libre.

Quand on fini plus tôt et que je dit pas à ma mère.

S'ensuit la lecture de que certains élèves de cette classe ont répondu en début d'année quand je leur ai demandé de quoi ils souhaitaient parler en cours de CPC. Je vous le livre, un peu comme un pense-bête pour moi car sinon c'est juste griffonné dans un carnet qui va changer d'une seconde à l'autre : La vie des noirs, La Palestine, La guerre, Les déchets, Le consentement.

Deux remarques parallèles, la première sur un sujet évoqué avec des élèves. On y évoque l'Etat. C'est une classe en petit comité où on s'est mis à parler des impôts, peut-être même de justice fiscale dirons-nous. Je leur demande dans un premier temps s'ils savent à quoi servent les impôts. Je leur dis : les trucs dont vous profitez et que vous ne payez pas ou alors à moins coût. Ils arrivent à dire école, hôpital, éboueurs, paysagistes. Ce sont les quatre premiers dans mon souvenir. D'une, je trouve ça très poétique que parmi les premiers trucs il y ait les paysagistes. Ils ont dit "aménagement", maintenant je m'en souviens. Ils ont précisé ensuite. Première étape, donc, dire ces dépenses. Transports.

Je leur dis qu'il y a aussi des choses dont ils ne profitent pas mais que l'Etat dépense quand même. Ils parviennent à trouver l'armée. Puis les aides sociales. Après, je leur dis de les classer. Je leur demande en gros de hiérarchiser les missions de service public. C'est super, de faire ça. Vraiment. C'est devenu fun de parler des impôts. Je leur parle de ce discours de Bernie Sanders qui évoque le financement de la guerre de Netanyahu par les Etats-Unis et leur explique donc que si vous vivez aux Etats-Unis et payez vos impôts, peu importe votre opinion concernant ce conflit puisque vous le financez malgré vous - à hauteur de 70% d'après une étude qu'il cite. Je crois que c'est un bon exemple pour dire à quel point l'impôt est politique. Pensons que Thoreau, un des grands penseurs de la désobéissance civile, a entamé son travail de rébellion en décidant de sortir de la société américaine qui alors finançait la guerre civile pour défendre le système colonial. En tentant de se dérober à l'impôt dû sous prétexte qu'il contrevenait à ses opinions personnelles. Etait-il un bon citoyen ? hinhinhin

Je continue avec eux en évoquant l'école et leur demande pourquoi l'Etat investit dans l'enseignement. On fait les philosophes là : pourquoi la Belgique et tant d'Etats dans le même cas financent l'enseignement public ? Projet démocratique et égalitaire d'offrir la même chance à toutes et tous. Ils le disent. Et je force le trait en leur demandant si cet argent est jeté par les fenêtres. Je leur dis, si vous êtes à l'école et qu'ensuite vous travaillez, qu'êtes-vous censé faire ? Payer de impôts disent-ils. Ils ont saisi. Ok. Et donc ? Vient le mot investissement. Oui. Sans cynisme aucun, l'enseignement est un investissement. Un don diraient certains sauf que vue qu'il y a une contrepartie attendue ça n'en est pas un. Une avance, à la limite. Et alors, je leur dis, que voyez-vous de contradictoire entre la mission démocratique et cette notion d'investissement ?

Que fait-on des élèves jugés incompétents ? Entendre par là, ceux qui ont du retard. Ceux dont je découvre l'histoire quand iels se livrent. Hop, du harcèlement en primaire. Hop, un examen raté à trois points. Hop, un petit divorce des parents. Hop, un déménagement. Hop, un handicap qu'on tarde à identifier. Tout un tas de situations - non-exhaustives bien sûr - qui font qu'un mauvais hasard - quand il n'est pas systémique - s'est emparé de leur destin. Tout un tas de situations qui avec les réformes en cours écourteront les cursus scolaires des mauvais investissements. N'en feront plus que du cours terme. Réduiront leurs horizons. Bref, venez mardi parce qu'écrire ceci ou le lire ne suffit bien entendu pas.

Dernier point, qui m'a surpris et quelque part ému. Conseil de classe. Elèves primo-arrivants. Les classes ont été faites d'une telle manière cette année que l'ambiance des trois que j'ai est vraiment agréable. Ils forment classe. S'entraident. Rigolent avec bienveillance. Se chambrent sans se manquer de respect. Parlent. Je leur montre La mort du petit cheval. Je vais vous spoiler donc vous pouvez lui consacrer 5 minutes en cliquant sur le lien en bas de cet article.

Je leur demande d'expliquer la situation qu'ils constatent. Analyser le regard de la femme quand elle visite l'appartement. Quel est le problème ? Embrasser des pieds, ça se fait pas ? Qu'est-ce qui ne se fait pas dans cette scène ? Pourquoi elle pleure à la fin ? Comment lui parle sa maman, en quoi est-elle différente dans ce message par rapport au début du film ? Je ne les aurai plus avant les vacances qui arrivent au galop et leur dis qu'on parlera alors de consentement. Tout se fait à l'oral en classe. On écrit peu. Et quoi ? Je découvre en conseil que certaines de mes meilleures élèves sont analphabètes ? Et je ne l'ai pas vu ? Je crois que je suis content de ne pas l'avoir vu. Ça m'a fait comprendre que je dois en voir tout le temps. Que c'est un handicap mais qu'il n'empêche pas tout un tas de choses. Que ce sont des citoyennes à qui il manque des clés certes mais qu'elles ont déjà plein d'aptitudes que les autres n'ont pas. Alors dans le dernier épisode, ou peut-être l'antépénultième, je parlais de seuils. Le seuil de l'écriture et de la lecture est indétrônable. Et quand même. Elles ont pour l'instant raté cette étape mais elles en ont franchi bien d'autres. Bref, un peu d'espoir.

A la semaine prochaine, que ce soit mardi dans les rues de Bruxelles, dans votre boîte mail ou sur Mediapart.

Lien du court-métrage de Gabrielle Selnet : https://www.arte.tv/fr/videos/114153-000-A/la-mort-du-petit-cheval/

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