C’étaient les conseils de classe. J’en ai déjà parlé dans plusieurs de mes chroniques précédentes et là c’est cinq minutes voire même deux, bien précises, que je vais vous raconter. Petit rappel : au début de l’année, on a fait les élections des délégués de classe. Il y a peut-être parmi vous des (feu) délégué.e.s, je précise ici qu’en début d’année ont ait carrément une heure de cours pour dire ce qu’on attend d’un délégué. Une heure, si ce n’est plus, où l’idée est de demander aux élèves quelles sont les qualités attendues, les savoir-faire. Bref, on fait une sorte de fiche de poste ensemble - avec celles et ceux qui participent - pour un poste que l’un.e des membres de la classe va finir par occuper.
Ensuite, ou alors entremêlé, on dit quand même ce que la personne élue est censée faire. Assister aux conseils de classe. Plus précisément, pouvoir présenter à l’équipe éducative une petite enquête réalisée auprès de ses camarades où iel dit si l’ambiance est bonne, si tout le monde se sent à l’aise, s’il n’y a pas trop de travail, s’iels sont bien préparés pour les évaluations… Premier point. Parler devant vingt adultes en étant à l’aise et en étant pertinent.e. Ensuite, participer à des réunions avec les autres délégué.e.s de l’école pour mettre en place des projets à l’échelle de l’établissement. Enfin, au sein de ces réunions, avoir un peu de formation pour être un.e délégué.e plus efficace - prise de parole, organisation des idées…
S’en suit un moment de stress ultime parce que là je ne demande pas juste qui veut répondre à une question mais qui veut être délégué pour la classe.
Vous l’aurez compris, on essaye d’instaurer une microdémocratie. Et j’ai du mal à m’imaginer comment je pourrais filer la métaphore et dire qui moi je serais dans des élections auxquelles nous, adultes, avons déjà participé. Je ne vote pas. J’ai un regard extérieur sur la communauté. Je connais les missions à remplir. Peut-être un étranger qui s’intéresserait très fortement à la politique et qui lui-même en aurait fait dans sa vie passée ? Peut-être les observateurs de l’ONU quand ils vérifient le bon déroulé d’élections ? Bref. Moi, j’ai mon avis sur qui serait le ou la délégué.e rêvée. Peut-être pas dans chaque classe et peut-être bien aussi que mon choix n’est pas du tout avisé. N’empêche que ce sont in fine les élèves qui choisissent et comme vous pouvez l’imaginer le premier paragraphe peut avoir tendance à perdre de sa superbe.
Quel est alors le résultat d’une telle démarche ? La majorité l’emporte et celle-ci nait de contextes bien différents. Il y a l’élève qui dès le début veut se présenter, a tâté le terrain et ça passe. Il y a la classe où on trouve que c’est nul et donc on met mille ans à trouver quelqu’un.e pour remplir ce rôle, un peu en se refilant la patate chaude. Il y a l’élève qui ne voulait pas se présenter et qui en fait oui et ce jour-là il est très souriant et il fait un carton alors que quelqu’un.e était déjà pressentie et en bonne voie d’être élu.e.
Et il y a cette classe dont je suis maintenant au conseil. Le délégué est venu. Il n’est pas élève modèle, mais j’ai envie de dire que ce n’est pas ce qu’on lui demande. Il participe un peu dans mon cours. Il est dans un groupe de garçons et disons qu’ils ne se caractérisent pas par un maximum de bienveillance. Il parle, néanmoins. Du haut de ses quatorze ans à tout péter il prend la parole et présente sa classe, écoute les professeurs dire que si les élèves veulent plus de travail en commun il faut qu’ils soient plus sérieux. Que tout le monde aimerait bien faire des cours plus ludiques mais que pour ce faire il faut une ambiance de sérieux et de sympathie qui n’existe pour l’instant pas. Il repart, on le remercie. Bonne journée.
Il part, le conseil reprend et on passe donc d’élève à élève jusqu’à ce qu’on revienne à celui-ci. Et là, des voix s’élèvent pour dire qu’on ne comprend pas qu’il soit délégué. Qu’il faudrait changer. Que d’autres élèves paraissent plus à même de remplir ce rôle. Quand ils ont rempli la fiche par exemple, l’élève questionne l’ensemble de la classe et il n’aurait pas pris certaines remarques, censurant au final le ressenti de certain.e.s élèves. Il est sous-entendu que c’est délibéré. Et le ton monte un petit peu et moi ça me chauffe les oreilles. Et je prends donc la parole et dis que ce sont des élections et que le rôle du prof qui les organise est justement celui d’informateur et d’observateur mais qu’il n’est en rien décisionnel. Tu peux opérer un léger découragement si on propose un.e élève absentéiste ou qui a du mal à s’exprimer en public ou qui justement parle sans respect. Mais, quand un.e élève est choisi.e, que faire ? Il n’y a qu’à accepter la décision populaire non ?
Et cet argument ne tient pas. Certain.e.s profs ne sont tout de même pas content.e.s qu’il soit délégué. Et là, je m’emporte un peu, mais je leur dis que c’est bien le souci de la démocratie et que même à l’échelle de nos élections grandeur nature on peut en tant que citoyen ne pas être d’accord avec la décision commune, n’empêche qu’il faut la respecter cette décision. Et si je pousse la métaphore, cet élève est délégué mais ça n’empêche pas d’autres de venir me voir en fin de cours pour exprimer des requêtes, il devient représentant mais n’étant pas en dictature il y a tout de même une liberté d’expression qui fait que chacun chacune peut se désolidariser de ses propos ou de sa personne. Bref, les élèves découvrent justement la représentativité et ses limites, franchement un des buts ultimes de mon cours.
S’en suit une décision commune que je trouve intéressante. Rappeler le rôle du délégué à l’ensemble de la classe une fois les cours repris - oui, je vous écris depuis mes vacances. Encore une fois, filons la métaphore. Dans les démocraties que nous peuplons, quand est-ce que cela a lieu et comment cela est considéré par le pouvoir en place ? Comment orienter la liberté de nos dirigeants et les rappeler à leur devoir ? Loin d’être une perte de temps, c’est une recherche quotidienne qui justement amène chacune et chacun à incarner la démocratie en se demandant la société dans laquelle on souhaite vivre et le rôle que les personnes au pouvoir peuvent remplir pour la voir fleurir. Bref, ce qui paraissait comme une échauffourée un peu molle est en fait un conflit, un débat intéressant dans lequel se révèlent les enjeux de la démocratie.
Deuxième point des conseils de classe, avec un élève que j’ai depuis trois ans. Il s’intéresse à la politique, je dirais même à la rhétorique politicienne. Il aime bien le débat, partager ses idées, essayer de bloquer des raisonnements. Franchement, il a une démarche intéressante et a réussi à se saisir de certains subterfuges qu’on retrouverait chez un Schopenhauer ou un Machiavel. Il voit que la politique est affaire de communication et de jeux de pouvoir, chacun.e voulant sa part du gâteau. Il est cynique.
Il est délégué d’une classe qui n’en branle pas une. C’est ce que les profs disent. C’est ce que je constate aussi. Ça parle, tout le temps. Tout le temps. Tu éloignes deux élèves et ils se parlent plus fort qu’auparavant pour pallier les chaises qui les séparent. Pas stressés pour un sou. Une classe comme ça, t’es délégué et tu dois la défendre, c’est un exercice rhétorique.
Qu’est-ce qu’il fait mon grand champion ? Il enchaîne du « je sais ». A la question : « l’ambiance de travail des-elle bonne en classe ? » il répond que non, que ça parle, qu’il y a un manque de respect pour les professeurs, que ça manque de sérieux. Et il nous met un tunnel en disant que ça ne va pas, que les conditions de travail ne sont pas bonnes, qu’il s’en excuse presque. Et en disant cela il innove dans le rapport élèves professeurs. Il a joué la carte de la sincérité. Il est là, sortant de son rôle de potentiel syndicaliste pour en fait se faire contre-maître et tirer une balle dans le pied de son équipe.
Et j’adore parce que c’est vu comme un signe de maturité. Les professeurs se sentent presque touchés de cette sincérité qu’on leur offre. Cette maturité. C’est un adulte qui leur parle, un allié, pas quelqu’un de quinze ans qui lui aussi ne fait que parler en classe. Et ce que j’adore, c’est que dans tout ce qu’il dit il n’y a aucune proposition. A aucun moment, suite à ce constat tout de même négatif, il y a une tentative de regarder vers l’avenir en s’engageant sur des mesures à prendre.
Le directeur lui demande tout de même à un moment ce qu’il pense qu’il faudrait faire. Et là il dit qu’il ne sait pas. Ils n’en ont pas parlé. Être plus stricts finit-il par avouer. Et je ne sais pas si je parviens à rendre cet effet mais j’étais frappé par l’écoute qu’il a reçue, le respect qu’on lui a accordé et finalement le manque de sérieux de sa démarche. Une prise de parole pas constructive pour un sou. Des élèves de quinze à dix-sept ans et la conclusion tirée c’est qu’il faut être plus stricts. On parle quand même par exemple de mettre des mots dans le journal de classe pour un manteau non enlevé, que vous vous fassiez une idée.
Cette intervention ? Un mirage. Le délégué s’est finalement fait rapporteur, observateur, mais n’a proposé aucune mesure. Et c’est lui qu’on a le plus estimé en tant que délégué. Il a fait le constat d’un je m’en-foutisme. Donné des mesures sécuritaires dans le fond. Et c’est bien. Bah… bof.