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Billet de blog 31 mars 2025

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#23 Racisme et tolérance

En classe. Je reviens comme chaque semaine sur ce qu'il s'y passe, ici entre le cours d'un autre professeur et la réunion avec les parents d'élèves. Texte écrit en retour de manif molle. Vous sentirez peut-être ma frustration - que j'essaye de canaliser dans l'effort scolaire, promis. Bonne lecture!

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Donc, je reviens sur les affaires qui concerneraient tout ce qui touche au racisme. J’ai cet élève blanc, dans une classe de blancs, qui a dit à l’un de ses camarades « espèce de n**** ». En cours, plus précisément dans le cours d’un prof blanc qui vient d’avoir un enfant métisse. Première précision car on nous dit de séparer le professionnel du personnel mais parfois il vient nous gifler le visage, comme ça, entre deux résolutions d’équations en l’occurrence.

Ce prof, c’est la sympathie incarnée. Il retient les prénoms, tout le monde l’aime bien, il est chaleureux. Il a rencontré Marie un jour et, vous voyez, il a eu cet air sympathique de tout de suite la saluer en faisant le lien. De l’accueillir en somme. Un peu un gentil, et entre gentils on va pas se le cacher : on se reconnait. Donc ce prof, qui entend ça dans sa classe, je crois qu’il prend une sanction préventive en se demandant où devrait en être chaque membre de la société par rapport à cette question. Il se prend une gifle, parce que par amour il a eu un enfant et qu’il se dit que cet enfant portera cette marque sur lui et que c’est sûr et certain qu’un jour il sera victime de discrimination, d’une façon aussi bête et crasse que celle-ci ou sous d’autres formes de violence tout aussi peu souhaitables.

Je vous ai dit qu’on s’est concertés avec les élèves d’une autre classe pour réfléchir à la punition. J’ai bien aimé, comme je le fais pour vous, leur dire que ce mot a été dit « espèce de n**** », sans contexte. Parce que pas besoin de contexte. Pas besoin de dire si c’est une blague, si c’est dit méchamment, si c’est en réponse à une autre insulte ou quoi que ce soit. A la limite, je pourrais ne même pas dire que c’est un blanc qui dit ça à un blanc. Quoique, juste pour le plaisir de rire de son incommensurable ignorance peut-être. Ils ont proposé des choses, que j’ai proposées à ce prof, qui a tout mélangé pour aboutir à cela, à produire pendant un jour d’exclusion.

Tu devras réaliser un exposé sur le "N-word", afin d’expliquer pourquoi son usage est absolument intolérable. Cet exposé doit être l’occasion pour toi de réfléchir aux conséquences de tes paroles et de comprendre la portée historique et symbolique de ce terme.

Voici les questions auxquelles tu devras répondre dans ton travail :

  • Pourquoi as-tu choisi d’utiliser ce mot précisément ? Qu’espérais-tu provoquer en le disant ?
  • As-tu conscience de la violence historique et symbolique de ce mot ? Pourquoi penses-tu qu’il suscite autant de réactions ?
  • Aurais-tu osé prononcer ce mot en présence d’élèves noirs ? D’un professeur noir ? Si non, pourquoi ?
  • Le fait que tu aies utilisé ce mot pour insulter un camarade blanc implique-t-il, consciemment ou non, que tu associes le fait d’être noir à quelque chose de négatif ?
  • Comment te sentirais-tu si l’on réduisait ton identité à un mot historiquement utilisé pour humilier et opprimer des millions de personnes ?

Ton exposé devra être structuré, argumenté et démontrer une véritable réflexion sur le sujet. Tu le présenteras en classe, dans l’espoir d’une prise de conscience de ta part.

Nous attendons de toi un travail sérieux et une réelle remise en question.

Et, qu’est-ce que ça va lui faire ? Je l’ai vu le jour même lors de la réunion parents profs. Personne ne vient jamais me voir à cette réunion pensez-vous : une heure par semaine, d’un cours dont on comprend pas trop les détours, autant aller demander au prof de musique si votre Kevin joue bien de la flûte. J’ai juste été surpris de voir débarquer trois parents – le papa, la maman, le beau-papa – qui me fixaient de leurs yeux écarquillés alors qu’on s’installait maladroitement à cinq – l’élève était là – autour d’une table. Ils attendaient que je commence je crois. Plusieurs anges sont passés – j’étais dans la classe où sont donnés les cours de religion – puis on a commencé.

Vous venez pour ce qui s’est passé la semaine dernière j’imagine. Donc, oui il a fait sa punition. Est-ce que ça t’a appris quelque chose ? Est-ce que tu as compris ce que tu as fait ? Bien sûr qu’il opine, il va pas faire le mariole devant les trois aïeux et le prof. On patiente. Je leur dis ce qu’on a fait cette année. On a parlé des trois pouvoirs, on a parlé du couvre-feu du Nouvel An à Anderlecht, on a parlé des mesures du nouveau gouvernement et de l’affreux traitement réservé aux sans papiers, on a fait un violentomètre pour parler de violences conjugales… Vous avez compris : je leur mets un tunnel. Et ils me regardent, sans réaction. Pas d’acquiescement ou de rechignerie quelconque. Stoïques, les trois. Puis j’en viens au fait parce que petit à petit je comprends l’objet de leur présence. Ils sont là pour que je les rassure. Ils ont peur. Ils veulent une seule chose : que je puisse leur confirmer que leur enfant ne tient pas de propos racistes en classe et que c’est un bon bougre. C’est pas celui qui a inventé l’eau chaude pour fondre la glace des crabes à décortiquer – Ponthus rpz – mais oui, c’est plutôt un bon bougre. Le regard un peu vide peut-être parfois mais non, pas un invétéré raciste. Je les rassure même en leur disant que j’ai parfois des propos plus argumentés. Ils repartent contents.

De deux choses l’une. Par un mot comme en cent. Et le professeur de dire… S’ils repartent contents alors peut-être ils ne comprennent pas le souci derrière cette interjection enfantine. Peut-être qu’il y en a du racisme ordinaire à la maison – dans quelle maison n’y en a-t-il pas ? Peut-être qu’ils ne savent pas par où prendre la chose. Peut-être aussi qu’ils ne parlent pas avec leur enfant parce que, si vous voulez mon avis, demander à un inconnu de confirmer que votre fils n’est pas raciste c’est pas un signe de grande communication au sein du foyer. Je ne sais pas. Ca me perd un peu. Je trouve louable leur venue, mais me demande. Que dis-je, j’ai hâte ! Hâte de voir ce qu’il nous a pondu. Et, rêvons car c’est jour de grève, rêvons qu’un déclic s’est opéré et qu’il va devenir un petit redresseur de torts. Rêvons qu’il prenne le problème à bras le corps et ne rigole plus à certaines blagues, se sente en empathie quand il entendra parler de racisme systémique, sympathise avec un ami noir et un jour lui confesse la honte de cette punition qu’il a reçue un jour de mars alors qu’il venait d’avoir dix-huit ans.

Enfin, parce que petit bonus. J’ai envie de me retenir mais c’est plus fort que moi. Je suis donc dans la salle de réunion et un autre prof est là. Je lui raconte l’anecdote du blanc comme si j’étais Thierry Lhermitte et que je lui disais que j’avais trouvé le champion du monde. Je ne contextualise rien. Je ne le citerai pas. Il dit l’équivalent de « je ne vois pas le problème de ce mot. Mets-moi un élève, je peux le lui dire. On peut tous se le dire, c’est la réalité. » Et waw. Fait chier, je n’ai pas les mots. La porte est ouverte, des élèves passent dans les couloirs entre deux rendez-vous, la main d’un parent sur l’épaule peut-être, et s’ils prenaient la peine de tendre l’oreille ils entendraient ce prof dire ouvertement que le n word n’est pas un problème. Détresse.

Le combat continue bordel. Et c’est le plus vieux donc personne ne lui dit ta gueule mais je le dis maintenant. J’ai beaucoup plus de sympathie pour cet autre collègue – pour finir sur une belle touche parce que c’est le plus beau métier du monde et donc les plus beaux travailleurs du monde – avec qui nous parlons de racisme en se questionnant sur la portée des mots à l’âge adolescent. Qu’est-ce qu’ils pensent de ce qu’ils disent ? Faut-il les prendre au pied de la lettre ? Dans la ribambelle d’interjections problématiques qu’iels emploient – le tort est partagé – qu’est-ce qui est pensé ? Un petit QCM serait souhaitable. Reprendre toutes les sorties problématiques de l’année, demander ce qu’on a voulu dire en disant ça puis vérifier s’il y a réalité derrière. Est-ce qu’on a fait une blague de mauvais goût – je vous rassure, il n’y a pas d’âge pour les faire celle-là – ou est-ce qu’on traduisait avec toute la lâcheté du monde une pensée discriminante ?

Ce que j’aime bien avec ce prof c’est qu’il n’a pas oublié sa jeunesse. Je ne sais pas s’il aimait l’école mais il a un quelque chose de se souvenir de son adolescence et de forcer l’empathie avec les jeunes. Par là, on a une pédagogie similaire qui nous fait prendre une certaine distance. Je vais pas faire une anaphore de « qui n’a jamais » mais dire plutôt que j’ai voulu choquer par des propos débiles. J’ai méprisé ouvertement une professeur en faisant rire la classe en dosant parfaitement mon insolence. J’ai avec mes amis emmerdé les gens qui allaient travailler à l’étude sur l’heure du midi en les traitent de tête d’ampoule et en insultant le professeur qui faisait l’étude et dont l’accent nous faisait rire. C’était la foule, indiscernable. Celle qui se prend pour la quintessence de l’humour branchadosse. Et non. Une fois j’ai été le seul à crier un grand « fils de p*** » je pense ou quelque chose de vraiment aussi débile et gratuit que ça et il m’a entendu et j’ai dû me dénoncer et j’ai pris huit heures de colle. J’ai été cette petite merde sans respect et qu’est-ce que j’en ai honte mais il me semble qu’il faut avoir cette tolérance envers les jeunes qui nous peuplent. Cette tolérance d’ailleurs qu’il faut leur donner et retirer aux autres.

« On n’est pas sérieux quand on a dix-sept ans. » Oh comme c’est malin comme petite phrase hihihi. Qu’entend-on par sérieux ? Cela veut-il dire qu’après on l’est ? Quelle est l’étape ? Est-ce que si mes élèves savaient faire rimer nouille avec couille – rpz Benoit Poelvoorde – on leur pardonnerait leurs infamies ? Je ne sais pas. Je me perds un peu mais c’est jour de manifestation et il fait beau et tout ce qu’on a réussi à faire c’est danser sur une batucada devant le théâtre de la monnaie. Rien n’a été brûlé. Le rassemblement nous a rassemblé dans un coin de Bruxelles, vous êtes peut-être passé.e à deux rues notre chez nous temporaire et vous n’avez rien entendu car c’était le projet. On n’est peut-être pas sérieux à dix-sept ans et je ne sais quand on le devient mais il faut en tout cas réveiller nos exigences à partir d’un certain temps. Envers nous-mêmes et envers les autres.

Les élèves, qu’en fait-on des élèves ? J’essaye. Tous les jours. Tous les jours je me demande ce que je peux faire et pas plus tard que cet après-midi je partage un café sur une terrasse et regardant le travail d’une camarade illustratrice je comprends bien vite qu’elle a été violée. Et on parle de mon travail et des slogans racontant qu’il faut éduquer nos jeunes. Alors oui je suis de cette équipe. Que les jeunes aient une main sur l’épaule, celle qui les élève, pour qu’ils puissent eux-mêmes se faire leurs propres épaules et forgent un regard neuf sur cette société. Où certaines traditions n’en seront plus et où ne pas être sérieux à dix-sept ans ou toute la vie ce sera quand même considérer l’autre et le respecter et en lui reconnaître le frère, l’humain universel auquel on veut tout le bien du monde.

Je m’égare presque automatiquement mais tout ça pour dire ça. Que notre échelle de tolérance ait des paliers. Que le jeune soit considéré comme un sujet mouvant, changeant. Que l’adulte soit considéré comme une personne responsable, maîtresse de ses faits et gestes et pensées. Que tous ces projets mortifères que nous réserve ce gouvernement – qui ne fait que suivre la tendance – soient jugés sans merci et sans bienveillance. Parce que ces mêmes projets, qui ne portent aucune tolérance en leur sein, ne sont qu’une manière de répandre toujours un peu plus d’intolérance dans ce monde de merde – rpz George Abitbol.
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