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Billet de blog 2 janvier 2022

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« Chez soi »

Comment le féminisme m'offre un espace à moi, un espace de sécurité, un lieu ressourçant.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Petites, mes camarades et moi dansions et chantions sur les bords de la cour de récré tandis que les garçons, occupant le centre, s’envoyaient la balle en criant.

Adolescentes, nous n’étions plus reléguées, nous étions reluquées. Je n’étais plus invisible, je n’étais que trop visible. Dévisagée, lorgnée, de bas en haut, de haut en bas, soupesée, brûlée par les regards des hommes souvent beaucoup plus âgés que moi, je tentais de me terrer au fond de moi-même.

Voilà les deux modes d’être au monde que le patriarcat nous assigne : être reléguées ou être reluquées, voire être reluquées puis être reléguées, et même être reluquées et être reléguées dans le même mouvement.

Louvoyer entre ces deux polarités nécessite des efforts constants. Est-ce le moment de m’affirmer contre cet homme qui vient de me couper la parole ? Est-ce celui de me protéger contre celui qui se colle trop près de moi dans le métro ? Est-ce le moment de lutter contre mon sentiment d’infériorité ? Est-ce celui de cacher ces parties de mon corps suscitant la convoitise: les seins, les fesses, les cuisses, la bouche, les cheveux ? Est-ce celui de cacher tout ce qui suscite la répulsion: ma sueur, mes poils, ma graisse, mes boutons, mes mèches blanches, mes rides ?

Dans le cas de la relégation, le patriarcat nous signifie que nous n’avons pas notre place pleine et entière dans le monde, que nos sentiments, nos sensations, nos pensées, nos émotions, nos expériences ne sont pas légitimes, que nos corps ne nous appartiennent pas.

Par conséquence, nous ne nous concentrons pas sur nous, nos désirs, nos volontés, nos envies, nos pensées. Nous ré-agissons, sans cesse, toujours, au contexte misogyne dans lequel nous vivons.

Quand j’ai commencé à lire des œuvres d’écrivaines féministes, pour la première fois, je me suis sentie chez moi.

Quand je lis Sister Outsider d’Audre Lorde, je me sens chez moi. Quand je lis Danser au bord du monde d’Ursula Le Guin, quand je lis Virginia Woolf, Gloria Steinem, et Silvia Federici, je me sens chez moi. Quand je lis Sorcières, la puissance invaincue des femmes, de Mona Chollet, je suis chez moi.

Cette contrée que j’explore depuis, une œuvre féministe m’amenant à une autre, un roman d’une autrice me conduisant à un autre, pour la première fois, je me sens en sécurité. Je n’ai pas à redouter l’expulsion ou l’agression. Je ne crains pas, au détour d’une page, de tomber sur une phrase misogyne qui me fera bondir ou me mettra mal à l’aise.

Le féminisme, c’est beaucoup de choses : c’est la déconstruction des systèmes de domination, c’est la revendication d’une égalité de droits, c’est la dénonciation des violences sexuelles et sexistes, c'est la déconstruction des normes de genre, mais, pour moi, c’est surtout cette pièce dans laquelle , une tasse de thé fumante à la main, je viens me délasser et me ressourcer.

Le féminisme est cet espace où je ne suis ni reléguée, ni reluquée, mais où je peux mettre à profit mon énergie pour penser, sentir et créer, cette contrée que je peux habiter de tout mon être, où les rencontres que j'y fais sont emplies de joie, d'espoir, de mutuelle reconnaissance et de confiance parce que ce territoire est peuplé d'autres exploratrices qui comme moi, allant de découvertes en découvertes, empruntant des chemins embroussaillés, dénichent au milieu des merveilles oubliées « une pépite de vérité qui reposera toujours sur leur cheminée »1.

Notes:

Le titre de ce billet est emprunté à l'excellent ouvrage de Mona Chollet, Chez soi, une odyssée de l'espace domestique, édition La Découverte, 2016

1. Virginia Woolf, Une chambre à soi, traduit par Clara Malraux, ed. 10/18

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