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Billet de blog 16 janvier 2022

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"Votre silence ne vous protègera pas non plus."

Ce billet (en deux parties) explore les liens qui unissent les femmes, leur(s) histoire(s) et leurs écrits au silence.

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Je viens d’une lignée de femmes silencieuses, muselées par la misogynie qui pensait et parlait à leur place.

Le silence, le mutisme, ont été pour longtemps quelque chose d’attirant, dans lequel je me vautrais comme le cochon dans sa boue.

Ce silence, le si lent silence, le si lent silence de celles qui, avec la première tétée ou le premier biberon, gavaient leurs filles de tous ces mots qu’elles-mêmes ne pouvaient dire. La rage non-dite, la colère tue, les désirs avortés… aucun mot légitime, aucune parole possible, et la discrétion vantée comme une vertu qui orne le cou des femmes comme un collier de perles… Amen !

I’m nobody, susurre la plume d’Emily Dickinson, recluse dans sa chambre du premier étage, seule pièce à elle seule, seul lieu où les mots tapis à l’intérieur d’elle-même pouvaient s'échapper. Are you nobody too? Comme cette question m’appelle ! Comme je la comprends! Qui suis-je? Qui sont les femmes ? Les femmes qui sont nobody, qui sont littéralement des non corps et partant, sont des non voix.  Are you nobody too? Don’t tell, they’ll advertise.1

Don’t tell. Tais-toi, ne parle pas, ne dis rien et ça va aller, chut, là, là, tout va bien, tu vois, c’est passé, ça y est, c’est fini, chut, chut, ce n’est rien, chut, tais-toi, sèche tes larmes, chut, c’est pas grave, chut, chut…

Le silence m’obsède.

En latin, le verbe obsidere signifie assiéger. Et c’est exactement cela : le silence fait le siège de moi-même, il entoure les murailles de ma forteresse intérieure, et patiente. Le silence agit lentement. Ce si lent et long silence… L’assiégeant silencieux me coupe des ravitaillements, m’affame tant que pour ne pas dépérir, je suis contrainte de lui ouvrir mes portes. Alors, il entre, et en conquérant vaniteux, s’installe sur mon trône, dicte mes gestes, dicte mes mots. Je lui suis redevable.

« A woman speaks »

Et puis… et puis… la lecture…A woman speaks… la lecture de mots de femmes… la lecture de mots de femmes qui ont écrit… But when we are silent ...la lecture de mots de femmes qui ont écrit malgré le silence, we are still afraid , en venant du silence, So it is better to speaks, en brisant le silence, remembering. Souvent avec éclat ! we were never meant to survive !2

Les mots des femmes sont empreints du silence qui les a enfermés pendant des siècles. Ils émergent, murmurés comme ceux d'Emily Dickinson, ou avec le fracas de la colère comme ceux d'Audre Lorde :

« Une chose m’a toujours permis d’aller de l’avant – et ce n’est pas vraiment du courage ni de la bravoure, bien qu’elle en soit à l’origine- c’est de sentir que l’on peut m’attaquer sur tellement de fronts, et que je ne peux rien y faire, alors je ne vais pas me fragiliser davantage en remettant les armes du silence entre les mains de mes ennemi.e.s »3

Une femme qui écrit ne le fait-elle pas toujours contre le silence, malgré le silence, accompagnée par le silence ?

Le silence des femmes a ceci de particulier que c'est une mécanique bien huilée, qui a fonctionné pendant des siècles. Ce sont les premiers mots que Michelle Perrot prononce dans son introduction à L'Histoire des femmes en occident : « Ecrire l'histoire des femmes ? Longtemps la question fut incongrue, ou absente. Vouées au silence de la reproduction maternelle ou ménagère, dans l'ombre du domestique qui ne vaut ni d'être compté ni d'être racontée, les femmes ont-elles seulement une histoire ? »4

Le silence est constitutif de notre histoire et il n'est pas vain de se poser la question de son effet sur notre psyché. Nous avons grandi, appris à penser, à bouger, à imaginer au sein d'une histoire tellement trouée qu'en tant que loque, elle ne nous est pas beaucoup utile ou, comme le dit Virginia Woolf, nous nous sommes formées dans « l'existence d'une tradition si courte et si fragmentaire qu'elle était de peu de secours »5.

Dès lors, que faire ? Comment parler ? Avec quels mots ?

1Poème d'Emily Dickinson (260)

2Poèmes d'Audre Lorde tirés de The Black Unicorn, traduits par Gerty Dambury, éd. L'Arche, 2021

3Audre Lorde, Sister Outsider, édition Mamamélis, 1994- 2003

4Michelle Perrot, Histoire des femmes en occident, tome 1, Plon, 1991

5Virginia Wool, Une chambre à soi, ed 10/18, traduit par Clara Malraux

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