Telle Virginia Woolf, piétinant le beau gazon d'Oxbridge
sous le regard horrifié de l'appariteur
Telle Mona Chollet qui de sa force tranquille
a dessiné un Chez soi qui est aussi un chez moi
Telle la fille King Kong, toujours trop de tout
Virginie Despentes, exclue du marché de la bonne meuf
Telle encore Olympes de Gouges clamant
« Femme, réveille-toi »
Telles les guérillères de Monique Wittig
Telle Judith Butler
Telle Louise Labé
Telle Sappho aux seins violets
Telle la femme sauvage de Clarissa Pinkola Estès
Telle Starhawk et ses rêves de l'obscur
Telle Maya Angelou qui se dresse encore et encore
Telle Audre Lorde,
et ses nouveaux outils
pour démanteler
la maison du maître
Telle Maryse Condé
Telle Léonora Miano
Telle Fatou Diome
Telle Marguerite Duras
Telles les parleuses
Telles les conquérantes
Telles toutes celles qui ont refusé le silence
même au plus profond de leur chambre - recluses
Telle Emily Dickinson
« Je ne suis personne
Es-tu personne – aussi ? »
Telle bell hooks
Telle Gloria Steinem
Telles encore
Nancy Huston
Chimamanda Ngozi Adichie
Delphine Horvilleur
Michelle Perrot
Assia Djebar
Telle Annie Ernaux et ses armoires vides
Telles Violette Leduc et Simone de Beauvoir
Telle Susan Griffin
Telles toutes celles qui ont résisté
qui se sont levées et se sont cassées
Telle Adrienne Rich, qui plonge jusqu'à
l'épave,
avec un livre de mythes
dans lequel nous ne sommes pas
Et Eia pour toutes les autres
Eia pour toutes celles qui n'ont écrit aucun roman, composé aucun poème, tenu aucun journal
Eia pour celles qui n'ont exploré que l'étendue de leur petit jardin, qui n'ont eu le temps que pour les nuages brossés, les hirondelles moqueuses et la pluie sur les carreaux
Eia pour celles sans nom et sans visage
Eia pour celles qui ont récuré les casseroles et frotté les lattes du plancher jusqu'à épuisement de leur dernière goutte d'énergie
Eia pour les entrailles dévastées, les vulves déchirées et mal recousues, les seins meurtris
Eia pour toutes celles dont personne n'écrira jamais la vie parce qu'il n'y a rien à en dire, parce qu'elles ont cuit un pain immangeable, torché les culs, repassé les chemises, épluché les carottes et trié les lentilles
Eia pour toutes celles que le temps a oubliées, dont on ne relate pas la vie, dont on ne célèbre pas la mort, qui gisent oubliées dans le grand magma gris de l'oubli, oubliée leur petite vie étriquée et rêche, oubliée leur insignifiance redoutable, leur réel visqueux et gluant qui les a absorbées dans ses rets
Eia pour la sœur de Shakespeare, « cette poétesse qui n'a jamais écrit un mot »1
Les rêves ne vieillissent pas
Ils pédalent inlassablement, pédalent dans l'air rafraîchi de la nuit, pédalent, transportés par la moiteur de la lune, sur les ailes de l'hirondelle lançant son cri
pédalent leurs intranquilles mots
car les grandes poétesses
ne meurent pas2
1Virginia Woolf, Une chambre à soi
2Virginia Woolf, Une chambre à soi (la citation exacte est « les grands poètes ne meurent pas ; ils sont des présences éternelles ; ils attendent seulement l'occasion pour apparaître parmi nous en chair et en os »)