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Billet de blog 25 juin 2022

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L'avortement fait partie de la sexualité hétéro

Quand j'ai commencé à avoir des relations sexuelles avec mes petits copains, j'avais la trouille de tomber enceinte. Ma mère a toujours dépeint le fait d'avorter comme une épreuve terrible dont les femmes ne se remettent pas.

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Je n'ai pas avorté.

Quand j'ai commencé à avoir des relations sexuelles avec mes petits copains, j'avais la trouille de tomber enceinte. C'était une peur ancestrale, transmise par la lignée de femmes de ma famille. Si ma mère, en héraut (inconsciente) du patriarcat (bell hooks fait remarquer que souvent ce sont les mères qui transmettent les injonctions patriarcales à leur fille), ne m'a jamais parlé de sexualité et ne s'est même pas fendue d'un laïus sur le préservatif (l'épidémie du SIDA sévissait alors), elle a toujours dépeint le fait d'avorter comme une épreuve terrible dont les femmes ne se remettent pas.

A sa décharge, elle ne faisait que répéter les positions de la papesse de la psychologie infantile et adolescente de l'époque, à savoir Mme Dolto qui écrivait : « Pour une femme qui avorte, il y a un sentiment profond conscient ou inconscient de culpabilité (…) La plupart des gens ou des médecins, pensent qu’une fois l’avortement effectué et bien fait, tout est terminé. Comme c’est faux ! Un avortement est toujours un événement qui a un effet dynamique inconscient dans la vie d’une femme et de l’homme qui est à l’origine de la conception. (…) un avortement ne doit jamais se faire sans plusieurs entretiens qui vont faire sourdre l’inconscient, au lieu de le vivre comme un effacement technique. »1.

J'ai donc vécu plus de dix ans dans la crainte que mes oublis de pilule ne me conduisent à vivre un traumatisme dont je ne remettrai pas. Je dis « mes » parce que jamais aucun de mes partenaires ne s'est préoccupé de notre contraception. C'est toujours moi qui pensais à prendre mon rendez-vous annuel chez le gynéco, toujours moi qui y suis allée, seule. Toujours moi qui, à moitié dénudée, me suis allongée sur la table d'examen, mis mes pieds dans les étriers froids et ai écarté les cuisses. J'ai toujours regardé le plafond (d'une peinture douteuse et écaillée) pendant que les doigts du gynéco fouaillaient mon vagin, en écartaient les parois, puis m'enfonçaient le spéculum. J'ai toujours ravalé ma honte et ma douleur en crispant les poings et tentant de respirer lentement.

Des années durant j'ai pensé à prendre la pilule seule, ai culpabilisé seule si j'oubliais, priais seule que je ne tombe pas enceinte. J'ai supporté seule les effets secondaires.

Je me souviens de mon soulagement à la pose du stérilet. Au moins, si je tombe enceinte, ce ne sera pas de ma faute, me suis-je dit.

Ma faute !!!? Comme si la contraception était à 100% efficace ! comme si j'étais la seule responsable de la contraception !

Même si je n'ai pas avorté, l'avortement a toujours fait partie de ma vie.

Parce qu'il est celui de nombreuses amies qui se sont confiées ou que j'ai accompagnées (très maladroitement) lors d'une IVG. Parce qu'il est le mien, toujours possible, toujours dans un coin de ma tête. Parce qu'il sera aussi celui de ma fille si plus tars elle a des relations hétérosexuelles. Même si une femme sur trois avorte au cours de sa vie2, l'avortement concerne toutes les femmes (et de tous les hommes qui veulent bien soutenir leurs compagnes).

Le rendre illégal, c'est non seulement mettre en danger de mort la santé d'une femme sur trois, c'est aussi leur ôter à toutes la possibilité d'une sexualité épanouie.

Sans la possibilité d'un avortement pratiqué dans des conditions sûres, jamais aucune femme hétérosexuelle n'aura une sexualité libre.

1 Françoise Dolto, Sexualité féminine, Paris, Scarabée, 1982

2https://www.sudouest.fr/economie/social/avortement-une-femme-sur-trois-a-recours-a-l-ivg-au-cours-de-sa-vie-8014164.php

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