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Billet de blog 7 février 2016

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Primaires, ou la substitution du concours de beauté au débat d’idées

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Aux yeux de certains, les primaires seraient parées de toutes les vertus. Elles permettraient tout à la fois de nous délivrer de la menace FN, de faire émerger une candidature de la gauche de gauche ou encore d’impliquer la part grandissante de la population qui ne se sent plus concernée par les scrutins électoraux. Les primaires permettraient en quelque sorte de résoudre la quadrature du cercle.

Dans cette présentation très avantageuse il convient tout d’abord de noter que de multiples intentions plus ou moins nobles se mélangent, qui vont, pour résumer, de « la volonté de tenter quelque chose»  dans le but de contrecarrer la dynamique des dernières élections, jusqu’aux calculs politiciens les plus cyniques (légitimer Hollande et forcer le peuple de gauche à voter pour lui), en passant par une forme de naïveté politique un peu désolante (tout faire pour éviter un second tour LR-FN)

Pourtant les primaires sont une bien mauvaise idée. Elles produiront l’effet inverse de ce qui attendu et l’on peut être surpris que parmi les défenseurs de celles-ci, certains, dont l’honnêteté et les intentions ne sont pas en cause, se laissent tenter par ce dispositif. La situation politique actuelle n’est certes pas enthousiasmante, mais ce n’est pas une raison pour se laisser tenter par une prétendue solution miracle.

Alors en quoi les primaires constituent-elles une bien mauvaise idée ?

Sur le ton de la boutade, on pourrait objecter qu’un dispositif, qui a permis de faire de Royal et Hollande les candidats de la gauche au second tour des présidentielles, est disqualifié d’office mais restons sur des arguments un peu plus solides.

Tout d’abord sur la forme de ces primaires, il semblerait que celle-ci soit à géométrie variable et qu’une part non négligeable des thuriféraires des primaires souhaitent que Hollande s’y présente. Ceci est pour le moins étrange, une primaire ayant normalement pour but de départager des candidats dont les différences s’expriment en terme de degré et non de nature. Si l’on respecte ce principe, Hollande serait bien plus à sa place dans une primaire avec Sarkozy et Juppé. Quant aux cyniques qui voient dans la primaire un moyen de légitimer Hollande aux yeux du peuple de gauche, ce n’est pas d’une primaire dont ils ont besoin mais d’un processus collectif d’amnésie.

On nous dit ensuite que les primaires constitueront le moyen le plus sûr d’impliquer les citoyens, de mettre fin à cette distanciation chaque jour grandissante de la population à l’égard de la politique. Sur ce point là, le contresens est total. Ne participe aux primaires qu’une frange réduite de la population, dont la diversité sociale est loin de constituer la caractéristique première. Via les primaires, les bourgeois pourraient donc choisir pour quel candidat la plèbe devrait voter au premier tour des présidentielles, ce qui ferait de ce dispositif un nouveau cens caché, pour reprendre le nom de l’ouvrage éponyme de Daniel Gaxie. En matière de démocratie et d’implication citoyenne, il me semble que l’on a déjà vu des perspectives plus réjouissantes…

D’autres nous disent enfin que les primaires seraient un moyen efficace de lutter contre le FN sans d’ailleurs toujours aller au bout de leur raisonnement, dont la solidité ne saute pas aux yeux. Car ici encore, le contresens est majeur. Loin d’être des moments de discussion programmatique et d’implication citoyenne, les primaires sont préemptées par les sondages, l’enjeu n’étant plus que de désigner celui qui serait le plus à même de l’emporter au second tour. Ce type de dispositif nous promet des élections où, dès le premier tour, nous n’aurions plus à choisir qu’entre le candidat de la droite complexée (Hollande) et celui de la droite décomplexée (Sarkozy ou Juppé), aux programmes quasi-semblables. Le FN aurait alors beau jeu de se présenter comme le parti du changement. Ceci se traduirait soit par une progression de celui-ci soit par une surenchère droitière de la droite dite classique. Il suffit de voir ce qui se passe aux Etats-Unis ou en Italie pour avoir un petit aperçu.

On pourrait ajouter que ce type de primaires présente également l’inconvénient de nous soumettre un peu plus à la logique du concours de beauté de la Vème République mais, compte tenu de tous les inconvénients déjà listés, il est inutile de charger davantage la barque.

Pour conclure, si certains sont tellement attachés à l’idée de primaire, pourquoi ne pas organiser une « primaire programmatique » ? On éviterait l’effet « concours de beauté » et l’on discuterait vraiment du fond. On rappellera que la campagne sur le référendum européen de 2005 fut l’occasion d’une formidable implication citoyenne. Pour une fois il était possible de discuter du fond et le peuple pouvait enfin donner son avis. J’ajouterais que l’un des premiers points qui pourraient être discuté lors de cette primaire programmatique pourrait être celui, central, de la désobéissance aux traités européens. Une discussion sur ce point aurait le mérite de clarifier les choses…mais quelque chose me dit que parmi les nombreux prétendants à la primaire, nombreux sont ceux qui préfèrent éviter cette question…

Dernier élément à l’attention de ceux qui voient encore dans les primaires le moyen de régénérer la vie politique. Pensez-vous que le système des primaires aurait permis de faire émerger un mouvement comme Podemos ? Les citoyens espagnols auraient-ils eu l’occasion de mettre un bulletin Podemos dans l’urne après plusieurs mois de précampagne où les sondages auraient expliqué que le candidat le plus capable de battre la droite était le candidat PSOE ?

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