Ainsi les résultats sont tombés. Un Front National en tête à plus de 40% en PACA et Nord-Pas-de-Calais-Picardie, plus de 30% en Languedoc-Roussillon-Midi-Pyrénées, Bourgogne-Franche-Comté, Centre-Val de Loire et Alsace-Champagne-Ardenne et qui est dans le trio de tête de nombreuses autres régions pourtant réputées hostiles à ce parti. De l’autre côté, le camp de la gauche de gauche dont les scores sont mauvais, résultats amplifiés, il est vrai, par une stratégie illisible. Et au milieu, deux partis, le PS et les bien mal nommés républicains, dont le caractère décadent, le cynisme et l’attachement à des privilèges exorbitants que leur avait conféré la Vème République, soulignent le caractère de « fin de race ».
La Vème République, son bipartisme et son oligarchie politique sont les ferments du vote FN
Car ces résultats confirment une nouvelle fois l’agonie de régime institutionnel qui les a fait rois et qui leur a donné ce sentiment d’impunité, laissant croire à certains que l’on pouvait nier le vote des citoyens et mener une politique opposée à celle pour laquelle on avait été élu.
Ce score du FN, que certains apprentis sorciers, dont le cynisme n’a d’égal que la bêtise et l’absence de culture politique, pensent encore qu’il peut leur être profitable (habitués qu’ils sont à user de la rengaine du vote utile), n’est en effet que le résultat logique d’un triptyque mortifère entamé au lendemain du 29 avril 2005, poursuivi par cinq années de sarkozysme et qui s’achève aujourd’hui avec un PS qui mène en toute impunité une politique de droite. On retrouve en effet dans cet enchaînement tous les ferments du vote FN.
L’abstention tout d’abord qui profite particulièrement au FN. Les résultats montrent que le FN ne gagne pas de voix en nombre par rapport en 2012, mais il réussit l’exploit de ne pas en perdre quant tous les autres partis subissent l’abstention de plein fouet. Or quel signal plus explicite pour les citoyens concernant l’inutilité de leur vote que cette adoption du traité de Lisbonne par des parlementaire PS et UMP réunis en Congrès en Versailles un triste jour de février 2008, adoption qu’il était difficile d’assimiler à autre chose qu’à un piétinement en règle du Non au projet de constitution européenne exprimé par le peuple le 29 avril 2005 ? Comment ne pas être tenté de conclure dans ces conditions que voter ne sert à rien ?
Le racisme et l’obsession de l’immigration ensuite, qui constituent le dénominateur commun de tous les électeurs FN, ont été remis au goût du jour, et avec quelle zèle, durant cinq années de sarkozysme, qui ont libéré la parole et légitimé des discours que l’on qualifiait auparavant de sulfureux.
Les trois années de hollandisme enfin, qui viennent parachever cette séquence et légitimer les slogans du FN sur l’UMPS. Quand un président appartenant à un parti qui se dit de gauche et qui a été élu grâce aux voix de la gauche, ne trouve rien de mieux que de continuer, voire d’amplifier la politique de son prédécesseur de droite (poursuite de la politique d’austérité, soumission à des traités européens qui sapent toujours un peu plus la souveraineté du peuple et multiplication des cadeaux en faveur du patronat), il n’est pas si étonnant qu’une forme de dépit ou de dégoût gagne le corps électoral. Quand de plus, son premier ministre tient des propos tels que ceux sur les Roms « qui ne souhaiteraient pas s’intégrer pour des raisons culturelles », on se dit qu’en 2012 tout à changé pour que rien ne change.
Loin des espérances suscitées par la présidentielle de 2012 et de notre projet novateur de refonte des institutions, la fusion technique constitue, un bien mauvais signal pour les citoyens
Face à cette situation, la gauche de gauche ne peut pas échapper aux questionnements et aux éventuelles remises en cause. Que faire ? Certaines questions relatives à la stratégie à adopter et à l’attitude du PCF se posent évidemment. L’objet n’est pas de nier l’apport indéniable des militants du PCF et la force qu’a pu apporter ce parti du fait de son implantation et de ses structures lors de la construction du Front de gauche. Mais, il est aussi nécessaire d’analyser ce qui s’est passé depuis et de s’interroger sur le sens et les objectifs politiques de la direction de ce parti. S’allier avec le PS au municipales à Paris ou se présenter avec le PS contre une liste de rassemblement Mouvements sociaux-PG-EELV à Grenoble ne constituent-ils pas par exemple une faute politique ? Comment doit être interprété l’impossibilité de présenter pour ces régionales des listes uniques de gauche hors PS ? Les positions parfois incohérentes du PCF vis-à-vis des questions écologiques ou sur les institutions européennes ne plombent-elles pas le rassemblement que nous essayons de créer ? Ces questions se posent depuis un moment mais l’analyse et la réflexion ne sauraient être dictées par le temps médiatique où l’émotion suscitée par le résultats des élections régionales.
D’autres sujets en revanche méritent d’être abordés tout de suite, tout particulièrement celui du positionnement dans la perspective du second tour de dimanche. La décision entérinée hier par le secrétariat national du PG consistant à fusionner techniquement « partout où cela est possible » avec le PS, est-elle pertinente ?
A cette question, je dois avouer que ma réponse est non.
L’une des raisons de nos mauvais scores, c’est que nous avons perdu en route nos électeurs de 2012 qui nous avait permis d’atteindre plus de 11% à la présidentielle. Alors que nous avons toujours identifié la lutte contre l’abstention comme l’une de nos priorités, il se trouve que même ceux qui étaient convaincus par notre projet ne se déplacent plus aujourd’hui pour aller voter. Parmi les ressorts de cette adhésion il y avait notamment cette articulation novatrice entre socialisme, écologie et réflexion institutionnelle visant une plus grande implication populaire, le tout porté par la personne de Jean-Luc Mélenchon qui, n’en déplaise à ceux que la personnification horripile, a joué un rôle majeur dans l’engouement autour du Front de gauche.
Or, avec les fusions techniques on est à l’opposé de ça. L’avenir de la gauche de gauche n’est pas dans la fusion technique, qui n’est qu’un symptôme typique de cette Vème République agonisante. Ne nous laissons pas entrainer par des forces trop habituées à leurs vieux réflexes boutiquiers et à leur habituelle cuisine électorale. Certains répondront que nous ne sommes tenus par aucun accord dans le cadre de ces fusions, que cela nous permettra d’exister dans des exécutifs… On connait ces arguments et je ne remets pas en cause la sincérité de ceux de notre camp qui les avancent. Mais il n’en reste pas moins que cela pèse bien peu par rapport au message que nous enverrons aux citoyens. La cohérence avec la position que nous avons tenue ces dernières années et le sens politique nous imposaient de ne pas aller dans le sens de ces fusions techniques.
Nous répétons à juste titre que Hollande et ses sbires mènent des politiques qui s’inscrivent dans la lignée de celles de l’UMP. Dans ces conditions nous n’avons pas à choisir, pour reprendre les mots de Frédéric Lordon, entre la droite complexée et la droite décomplexée, pas plus que nous n’avons à fusionner techniquement avec les listes du PS. Prenons l’exemple de l’Ile de France, quel signal donne-t-on quand on fusionne avec Bartolone, conseiller général du 93 depuis 1979, député depuis 1981 ? Bartolone qui appelait encore récemment à un gouvernement d’union nationale. Où est le lien avec la VIème république que nous appelons de nos vœux ?
De tels choix rendront toujours plus aisés pour nos adversaires politique les amalgames et les insultes, trop heureux qu’ils seront de nous dépeindre en force d’appoint du PS. Si les résultats de ces élections devaient servir à quelque chose c’était bien à envoyer un signal. Signal vis-à-vis des citoyens pour leur dire que nous n’accompagnerions pas les représentants de ce régime finissant dans leur chute car notre projet est tout autre. Signal vis-à-vis du PS pour lui indiquer que le chantage au FN et la rhétorique du vote utile ne les sauverait plus. Nous nous penchons beaucoup ces derniers temps sur les expériences Siriza et Podemos et tentons d’analyser les causes de leurs échecs et de leurs réussites. Il aurait été utile de se poser la question suivante : « ces mouvements auraient-ils appelé à des fusions techniques avec le PASOK ou le PSOE dans des conditions qui ne permettent d’engager aucun rapport de force ? ».