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Billet de blog 10 novembre 2023

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Les tartuffes et les fossoyeurs de la lutte contre l’antisémitisme

Alors que les accusations infondées d’antisémitisme fleurissent à l’encontre de « l’extrême gauche » ou de LFI, il est urgent de dénoncer ceux qui, par calcul politique et/ou racisme anti-musulman, instrumentalisent une juste cause pour finalement la desservir. Il est d’ailleurs regrettable que certains membres de la NUPES préfèrent suivre le mouvement plutôt que dénoncer la situation.

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Alors que les accusations totalement infondées d’antisémitisme fleurissent dans les médias à l’encontre de « l’extrême gauche » ou de LFI (la matinale du 8 novembre de France Culture constitue un bel exemple de cette propagande honteuse), il est bon de s’en tenir aux faits et de dénoncer ceux qui, par calcul politique et/ou racisme anti-musulman, instrumentalisent une juste cause pour finalement la desservir.

Dernier épisode en date de cette instrumentalisation, l’appel à une grande marche contre l’antisémitisme lancé par la Présidente de l’Assemblée nationale et le Président du Sénat. Car tout dans cet appel montre qu’il s’agit d’une énième tartufferie, la lutte contre l’antisémitisme étant malheureusement une préoccupation bien secondaire de cet appel.

Une manifestation dont le but n’est pas de rassembler ni de lutter contre l’antisémitisme

Tout d’abord, une telle manifestation, si son but était de rassembler, aurait dû être organisée en concertation avec l’ensemble des forces politiques concernées par ce combat et non pas initiée par une personne, la Présidente de l’Assemblée nationale en l’occurrence, qui s’est totalement discréditée au cours de ce dernier mois, de sa déclaration de « soutien inconditionnel à Israël » le 10 octobre à l’Assemblée nationale, à son déplacement en Israël le 22 octobre, au cours duquel elle a affirmé en plein massacre du peuple palestinien, que « rien ne devait empêcher Israël de se défendre ». Laisser l’initiative de cet appel à une personne dont les récents positionnements ont gêné jusque dans son camp[1] ne pouvait que nuire à l’esprit de rassemblement et de concorde invoqué. Il pourrait être rétorqué que la lutte contre l’antisémitisme en France et le conflit israélo-palestinien sont deux sujets différents mais c’est un argument qui ne tient pas, un mois après le massacre perpétré par le Hamas et le carnage en cours opéré par l’armée israélienne à Gaza. Ce serait par ailleurs un argument bien hypocrite dans la mesure où le choix de la personne lançant cet appel ne pouvait, compte tenu de ses récentes prises de positions publiques, que renvoyer aux évènements en cours à Gaza, sachant de plus que Mme Braun-Pivet elle-même n’a pas manqué d’établir ce lien en citant lors de cet appel les otages retenus par le Hamas.

Ensuite, compte tenu du contexte actuel, marqué faut-il le rappeler par le massacre en cours et le déplacement forcé de la population palestinienne, un tel appel ne pouvait se passer, si bien sûr le but était de rassembler le plus grand nombre, d’une prise de position claire sur le fait que la lutte contre l’antisémitisme ne pourra jamais servir à cautionner la politique israélienne quand celle-ci bafoue le droit international. Un tel rappel aurait en effet permis de rassurer ceux qui craignent d’être assimilés au « soutien inconditionnel » à Israël.

Enfin, un tel appel aurait dû exclure le RN, parti dont le président actuel niait encore il y a deux jours l’antisémitisme d’un personnage qui considère la Shoah comme un point de détail.

Une manœuvre politicienne à laquelle se prêtent malheureusement les forces de la NUPES en dehors de LFI

Ce n’est pas le choix qui a été fait car le but n’était pas de rassembler mais d’engager une manœuvre bassement politicienne afin d’isoler les forces et les personnes critiques de la politique du gouvernement israélien, quitte à offrir au RN une normalisation sur un plateau d’argent.

Dans un tel contexte il était évident qu’une telle marche ne recueillerait prioritairement que les faveurs du soutien inconditionnel à Israël et de l’amicale des xénophobes et autres obsédés du péril musulman (qui furent d’ailleurs les plus enthousiastes à répondre, trop heureux pour certains de s’offrir une « normalisation » offerte à vil prix), plutôt que des personnes sincèrement préoccupées par la lutte contre l’antisémitisme.

Face à une telle manœuvre, on aurait attendu des composantes de la NUPES, un positionnement conséquent, ce qui n’a pas été le cas. Cela avait déjà mal débuté avec Olivier Faure, lequel ne voyait pas, dans un premier temps, de problèmes à une participation du RN lors d’un rassemblement contre l’antisémitisme, et cela s’est poursuivi avec la confirmation de la participation du PS et d’EELV à cette marche ainsi qu’avec la position alambiquée du PCF.

Une contre-manifestation organisée par tous ces partis avec LFI, sur un mot d’ordre affirmant la nécessité d’une lutte intransigeante contre l’antisémitisme et rappelant qu’un tel combat ne pourra jamais servir à cautionner le sort réservé aux Palestiniens aurait permis de renvoyer les macronistes à leurs basses manœuvres en les abandonnant en compagnie de la droite (laquelle a confirmé, pour ceux qui pouvaient en douter, ses obsessions xénophobes lors de l’examen du projet de loi immigration au Sénat) et de l’extrême droite.

Là non plus, ce n’est pas le choix qui a été fait car pour ces forces politiques, le combat conséquent contre l’antisémitisme est bien secondaire, surtout si l’occasion leur est offerte de tenter d’isoler LFI avec qui elles souhaitent absolument refaire le match de 2022 (voire de 2017) persuadées qu’elles sont que leur irrémédiable déclin n’est qu’un accident qui sera vite oublié. Elles ont donc choisi de jouer les idiots utiles du gouvernement. Le refus de nombreux syndicats (CGT, FO, CGC…) d’appeler à manifester aurait pourtant dû les alerter.

Des accusateurs qui sont souvent les fossoyeurs de la lutte contre l’antisémitisme

Dès lors la curée médiatique à l’encontre de LFI peut se poursuivre. L’oligarchie est coutumière de ce recours à ce qu’elle considère être « le rayon paralysant de l’accusation d’antisémitisme » à l’encontre de la gauche. Il suffit de voir comment ce sujet a été instrumentalisé à l’encontre de Noam Chomsky ou plus récemment de Jeremy Corbyn[2]. Cette oligarchie peut compter sur le réflexe de classe et la paresse intellectuelle des médias qu’il s’agisse par exemple de France Culture (précédemment citée) ou du Monde, qui n’hésite pas ce jour à mettre en une de son site une interview de Nonna Mayer intitulée « Les stéréotypes antisémites gardent un certain impact dans une petite partie de la gauche », choix de titre assez honteux quand on prend la peine de lire cette interview, cette phrase ne correspondant qu’à la partie d’une seule réponse aux dix questions posées durant cette interview. La lecture de ce passage mérite d’ailleurs le détour : « Les sympathisants de La France insoumise en particulier ont un niveau d’antisémitisme nettement inférieur à celui des sympathisants du RN, mais plus élevé que la moyenne. Ce n’est pas le cas dans l’électorat de Jean-Luc Mélenchon au premier tour de la présidentielle toutefois, qui était très divers… Autrement dit, ces stéréotypes antisémites associant les juifs au pouvoir et à l’influence gardent un certain impact dans une petite partie de la gauche. A travers ces lignes on voit comment Nonna Mayer rame pour apporter sa contribution au « rayon paralysant ». Elle nous dit ainsi que les sympathisants de LFI auraient un niveau d’antisémitisme (comment est-il défini ? comment est-il mesuré ?) plus élevé que la moyenne tout en indiquant (son surmoi de chercheuse la rattrapant in extremis ?) que ce n’est pas le cas dans l’électorat de Jean-Luc Mélenchon. Elle s’empresse toutefois d’ajouter (car il faut bien mériter sa table ouverte auprès du quotidien de déférence) le passage qui servira de titre à la une du Monde. Merci Nonna, tu as fait le job même si ce fut un peu laborieux…

De tels sous-entendus et de telles accusations sont insupportables et ne devraient pas seulement choquer celles et ceux qui en sont l’objet. Car instrumentaliser le terme d’antisémitisme, c’est finir par le vider de sons sens.

En vidant de son sens ce terme, on favorise l’antisémitisme, comme on favorise l’antisémitisme quand on soutient l’extrême droite israélienne, que l’on œuvre à la normalisation de l’extrême droite française ou que l’on alimente les obsessions xénophobes d’une minorité à coups de lois immigration.

S’il y a des ambiguités et des complicités vis-à-vis de l’antisémitisme c’est bien de ce côté qu’elles sont à chercher et non pas du côté de la gauche radicale.

[1] La députée Renaissance Mireille Clapot a par exemple estimé, à propos du déplacement de Mme Braun-Pivet, que « le signal qui est envoyé penche quand même plus d’un côté que de l’autre » : https://www.france24.com/fr/france/20231022-ya%C3%ABl-braun-pivet-en-isra%C3%ABl-avec-les-faucons-de-lr-un-voyage-qui-s%C3%A8me-le-trouble

[2] https://www.monde-diplomatique.fr/2019/06/FINN/59943

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