Dans un billet de blog, lui même issu d’un articlé paru dans l’Obs le 14 février, Philippe Marlière, politologue (sic) de son état, nous livre une analyse à la hussarde de la trajectoire politique récente de Jean-Luc Mélenchon, lequel serait atteint de chevènementisation.
Ce qui surprend, dans ce billet c’est le mélange de mauvaise foi, d’approximations et de contresens. A cela s’ajoutent un certain nombre de raccourcis portant sur des notions politiques de base, qui nous font douter de l’état normal de son auteur lorsqu’il a rédigé ce billet.
Tout d’abord, Mélenchon tournerait le dos à l’histoire de la gauche et s’inscrirait dans la pratique de la Vème République en se déclarant candidat unilatéralement et sans concertation. S’il est justement une pratique de la Vème République à laquelle Mélenchon tourne le dos, ce sont les petites combines d’appareils et les négociations d’arrière chambre entre formations. Négociations, dont on a vu le résultat probant en 2007 quand il s’est agi de construire une candidature unitaire… Par ailleurs, il est difficile de reprocher à Mélenchon de ne pas avoir essayé de négocier. On peut même dire qu’il a fait preuve d’une certaine forme de volontarisme dans ce domaine et que celui-ci n’a pas forcément été payé en retour si l’on n’en juge par les alliances municipales de son principal partenaire du Front de Gauche ou par les déclarations récentes de Cécile Duflot…
Ensuite, Mélenchon serait un affreux conservateur nationaliste car il souhaite défendre l’intérêt général, cette notion étant définitivement discréditée aux yeux de Monsieur Marlière, au motif qu’elle a pu être instrumentalisée pour légitimer des causes peu recommandables. Ainsi, nous devrions renoncer à l’usage de certaines notions une fois qu’elles sont mobilisées par nos adversaires. Mais à ce compte nous devons alors renoncer à parler. L’égalité n’est-elle pas invoquée quand il s’agit de niveler par le bas les droits sociaux ou bien la liberté n’a-t-elle par été mobilisée pour servir des intérêts impérialistes ? Appliquons donc la jurisprudence Marlière et renonçons dès lors à défendre l’égalité et la liberté. Et que nous propose Philippe Marlière à la place de l’intérêt général, lequel à ses yeux, corsète et soumet les individus ? La somme des intérêts particuliers, cette illusion qui voudrait nous faire croire qu’en recherchant à maximiser son intérêt personnel, et accessoirement en écrasant son voisin pour y parvenir, la société dans son ensemble ne s’en portera que mieux. Là aussi on a vu ce que ça donne… Je ne sais pas si Mélenchon se Chevènementise mais Marlière, lui, se Cohn-Benditise.
Cette notion d’intérêt général semble à ce point déranger Philippe Marlière qu’elle le conduit à accumuler les poncifs les plus éculés. Ainsi, le combat pour l’intérêt général s’opposerait à la lutte contre les discriminations ethniques et de genre. Venant d’un titulaire d’un doctorat de sciences politiques, l’affirmation est pour le moins surprenante. Car loin de s’opposer, ces combats se complètent. Si les femmes sont victimes de discrimination en matière salariale c’est en partie parce que dans la logique qui nous gouverne aujourd’hui, il est jugé normal se sous payer certains métiers et de développer le temps partiel (lequel touche très majoritairement les femmes). Il faut donc marcher sur ses deux jambes, défendre l’intérêt général et lutter contre les discriminations. On pourra rappeler utilement à notre politologue que la lutte contre les discriminations ne pose aucun problème aux forces les plus réactionnaires, tant qu’il ne s’agit pas de les coupler avec une lutte contre les discriminations sociales (on vous proposera donc de mettre 40% de femmes dans les conseils d’administration tout en continuant d’exploiter la majorité d’entre elles). En matière de lutte contre les discriminations ethniques le raisonnement est exactement le même, on conseillera d’ailleurs à Philippe Marlière la lecture de l’ouvrage de Walter Benn Michaels, « La diversité contre l’égalité ».
Philippe Marlière semble ensuite regretter que l’on puisse envisager, pour reprendre ses termes, une citoyenneté « a-genrée et a-ethnique ». Mais heureusement qu’il est possibles d’envisager une citoyenneté « tout court » qui fait que vous aurez les mêmes droits quels que soient votre genre, votre origine ethnique, votre religion ou tout autre chose. Ici encore que nous propose Philippe Marlière ? Une citoyenneté à géométrie variable avec des droits qui diffèreraient selon votre origine ou votre genre ? C’est une bien curieuse conception de la citoyenneté.
Parmi les autres notions qui semblent irriter au plus haut point Philippe Marlière , celle de nation est en haut de la liste. Se référer au cadre national nous transformerait en affreux nationaliste voire nous ferait rejoindre « la nébuleuse souverainiste qui, de Manuel Valls à Marine Le Pen, est devenue la nouvelle doxa des élites politiques françaises » ou adopter un « discours national-chauvin ». On serait curieux de demander à Philippe Marilière quel autre cadre est plus pertinent que le cadre national pour envisager un projet politique, notamment quand il s’agit de s’opposer à des forces qui s’appuient sur des traités supranationaux pour combattre tout changement ? Serait-ce à ses yeux le cadre européen ? Dans ce cas on hésitera à trancher entre une Bisounoursisation de Philippe Marlière, sur le mode l’Europe sociale va nous sauver, ou, plus grave, une Emmanuellecossisation sur le mode, l’Etat, la nation, c’est le mal, vive une fédération européenne.
En fin de compte, on ne comprend pas bien quelle mouche a bien pu piquer Philippe Marlière et provoquer chez lui un tel état de confusion.
Nous sommes dans une situation d’urgence et Philippe Marlière semble oublier que le temps du politiste (surtout quand celui-ci s’affirme politologue…) n’est pas celui du combat politique. L’heure n’est pas à la discussion mais au combat. Face au camp de la régression sociale et du repli sur soi, qu’il soit de tendance xénophobe (FN), réactionnaire (LR) ou cynique (PS), il importe de s’opposer et de faire en sorte que cette opposition soit la plus efficace possible. Plutôt que de perdre du temps en palabres donnons nous les moyens de faire gagner nos idées, car c’est bien cela qui compte. En personnalisant autant leurs critiques sans jamais évoquer le contenu de cette candidature (et notamment ses traits saillants comme la volonté de désobéir aux traités européens, seul moyen de mettre fin au politiques austéritaires et néolibérales), Philippe Marlière et ses acolytes adoptent une conduite typique de la Vème République. Quant à l’aspect solitaire de la candidature de Jean-Luc Mélenchon, c’est pour le moins cocasse quand on voit le soutien et la capacité de rassemblement de ce dernier et ça l’est d’autant plus quand on les compare aux capacités de mobilisation des autres candidats potentiels…