NOAM AMBROUROUSI (avatar)

NOAM AMBROUROUSI

Abonné·e de Mediapart

30 Billets

0 Édition

Billet de blog 22 juin 2022

NOAM AMBROUROUSI (avatar)

NOAM AMBROUROUSI

Abonné·e de Mediapart

L’arbre NUPES ne doit pas cacher la forêt

La NUPES n’est pas majoritaire mais ces législatives restent un succès malgré un taux d’abstention très élevé. Mais ce résultat ne doit pas masquer certains risques ou faiblesses comme la dynamique du RN, la cohérence d’une alliance rendue possible par les circonstances et la difficulté à toucher une partie importante des classes populaires, sans qui la victoire restera difficile.

NOAM AMBROUROUSI (avatar)

NOAM AMBROUROUSI

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Le « coup » en grande partie réussi de la NUPES

Jean-Luc Mélenchon ne sera pas nommé Premier ministre cette semaine mais il convient tout de même de souligner le coup tactique réussi par LFI/UP ces dernières semaines, sachant de plus que nous n’aurons pas forcément à attendre 5 ans pour de nouvelles législatives, la situation s’annonçant particulièrement compliquée pour un bloc bourgeois réduit à l’os.

Coup tactique et politique car il a permis d’instaurer un duel avec Macron, de placer le débat sur des thèmes sociaux que les deux qualifiés pour le second tour de la présidentielle souhaitaient à tout prix éviter, et d’obtenir un nombre de député(e)s bien supérieur à ce qu’il était il y a 5 ans, ce résultat contribuant à l’absence de majorité absolue pour le camp macroniste. S’il y a pu avoir une part de déception, beaucoup auraient signé pour un tel résultat il y a deux mois. Compte tenu du rapport de force réel, et du taux d’abstention une nouvelle fois très élevé, cela reste un très bon résultat.

Autre apport de l’épisode NUPES, il a obligé plusieurs forces « de gauche » à clarifier leurs positions et à se positionner clairement à gauche…même si l’on peut s’interroger sur le caractère durable de ce positionnement de la part de certaines personnes qui se sont tant compromises durant le quinquennat Hollande et qui tenaient il n’y a pas si longtemps des positions assez éloignées des 650 propositions de la NUPES…

Ce bon score ne doit pas masquer des risques et des faiblesses réels

L’arbre NUPES ne doit pas cacher la forêt. Or cette forêt peut présenter des aspects inquiétants et d’une gravité certaine. Gravité liée au score du RN, gravité quant au niveau d’abstention et inquiétudes liées à la sociologie du vote NUPES, ces trois éléments n’étant pas sans lien.

En termes de voix, la dynamique est chez le RN :

Le score du RN, tout d’abord, est d’autant plus inquiétant qu’il est obtenu dans un contexte qui pouvait sembler lui être défavorable. Avec une forte abstention, souvent préjudiciable à ce parti puisqu’elle touche une fraction importante de son électorat (jeunes et classes populaires, les deux catégories pouvant se recouvrir en partie), et une surmédiatisation du duel Macron/NUPES, certains avaient rapidement enterré le RN. Sans réellement faire campagne et alors que le débat ne s’est pas focalisé ces dernières semaines sur les thèmes qui lui sont chers (maigre consolation tant il l’est depuis des années…), le RN obtient 89 sièges à l’assemblée. Au-delà du chiffre, qui est considérable et qui lui permet de se revendiquer premier parti d’opposition, c’est ce qu’il dit en matière d’implantation et de dynamique (+ 1,25 million de voix au 1er tour par rapport à 2017 et + 2 millions au second tour[1]) qui doit alerter.

Un niveau d’abstention très inquiétant, qui n’est pas limité aux jeunes et aux classes populaires :

S’agissant du taux d’abstention, il est une nouvelle fois très élevé même si légèrement en baisse au second tour par rapport à 2017.

Illustration 1

Dans ces conditions, 93% des députés élus l’ont été grâce aux voix de moins de 30% des inscrits ce qui pose quand même de sérieuses questions sur le plan de la légitimité. Plus grave, comme toujours cette abstention touche plus particulièrement certaines catégories sociales même si, compte tenu du niveau d’abstention, aucune n’est épargnée avec des cadres pour une fois majoritairement abstentionnistes. Il n’empêche deux tiers des ouvriers et employés ne sont pas allés voter.

Illustration 2

L’âge joue également un rôle important mais l’abstention ne touche pas spécifiquement « les jeunes » sauf à être considéré comme « jeune » jusqu’à 49 voire 59 ans... En effet l’écart de participation entre les 18-24 ans et les 35-49 ans est de moins de 10 points, le taux d’abstention des 35-49 ans étant très supérieur à la moyenne. Cela s’expliquerait-il par une persistance du comportement abstentionniste, ces 35-49 ans correspondant aux jeunes d’il y a 15 ans qui s’abstenaient déjà beaucoup ? Si oui, le niveau actuel d’abstention des 18-24 ans, supérieur à 70%, ne peut qu’inquiéter, nous promettant des taux d’abstention encore plus élevés dans les années à venir…

Illustration 3

La NUPES première chez les bac+3 et plus et dernière chez ceux qui n’ont pas le bac…

Troisième élément d’alerte, la sociologie du vote NUPES qui peut tout de même surprendre surtout quand on la compare à celle du vote Renaissance et du vote RN.

Illustration 4

Si ces résultats doivent être pris avec précaution compte tenu du taux d’abstention évoqué, on constate de façon assez surprenante que les cadres ont majoritairement voté pour la NUPES et que les ouvriers lorsqu’ils votent, ont assez peu voté pour elle (au contraire des employés).

De même lorsque l’on s’intéresse à la répartition des votes selon le diplôme, on constate que la NUPES est le parti des diplômés et qu’elle réalise un très mauvais score chez ceux dont le diplôme est inférieur au bac, avec un score de 10 points inférieur à celui d’Ensemble.

Illustration 5

Cette sociologie du vote NUPES, concernant notamment les très bons scores chez les cadres et bac +3 et plus et le très faible score chez les ouvriers et les personnes ayant un diplôme inférieur au bac, que l’on s’attendrait à retrouver davantage dans des mouvements comme LREM ou EELV, montre le chemin qu’il reste à parcourir pour s’imposer. En effet, on peut considérer que la NUPES a fait plus que le plein concernant les catégories sociales les plus favorisées mais qu’elle est à un niveau anormalement bas au sein des catégories populaires. Si la NUPES ne réussit pas à les convaincre de voter pour elle, une victoire semble assez peu probable surtout dans des scrutins ou le taux d’abstention est un peu moins élevé avec un poids relatif des catégories populaires qui augmente.

Cette sociologie du vote, qui a en partie favorisé la NUPES dans un scrutin avec une très forte abstention, s’explique en partie par la nature de la NUPES, sorte de bloc des gauches agglomérant des électeurs LFI à des électeurs d’EELV et du PS. La comparaison du nombre de voix obtenues au 1er tour par la NUPES avec celles obtenues en 2017 par LFI, le PC, le PS et EELV semble le confirmer puisque, modulo les tripatouillages du ministère de l’Intérieur, il est quasi identique (5,8 millions de voix environ).

Une alliance de circonstance ou quelque chose de plus durable et si tel est le cas pour quoi faire?

Répétons-le, compte tenu des circonstances il était difficile de faire mieux et la création de la NUPES initiée par Jean-Luc Mélenchon a conduit à un résultat qui a permis de dépasser de nombreuses limites (dynamique inférieure à celle du RN, faiblesse du vote dans certaines catégories). Mais ce qui s’est avéré particulièrement pertinent conjoncturellement le sera-t-il de façon plus structurelle ? Plusieurs questions se posent en effet.

Ceux qui ont vu un intérêt à cette alliance de circonstance, notamment celui d’avoir des députés et même un groupe à l’assemblée nationale, trouveront-ils la NUPES toujours aussi séduisante une fois leur survie assurée. Ne verra-t-on pas apparaître des stratégies individuelles de plus en plus assumées lorsqu’il s’agira de sauver les mandats de nombreux élus lors des élections locales ou de se positionner plus clairement sur la question de l’UE au moment des élections européennes ?

Compte tenu de la sociologie très particulière de l’électorat, déjà évoquée, ne seront-ils pas tentés dans 3 ans, comme ce fut le cas il y a quelques mois, de relancer une « primaire populaire » dont ils savent qu’elle leur est très favorable, les primaires mobilisant des catégories sociales qui sont surreprésentées chez leurs sympathisants ?

Limiter ce risque suppose que LFI confirme et renforce son leadership et cela ne pourra passer que par une capacité à convaincre les classes populaires de voter pour elle, condition par ailleurs nécessaire pour espérer devenir majoritaire dans ce pays.

Convaincre les classes populaires, au-delà de celles qui vivent dans les grandes métropoles

On en revient donc à ce sujet central qui doit constituer la priorité des années à venir. Le programme politique porté par LFI/UP et certaines expériences réussies (notamment le travail effectué par François Ruffin) constituent des atouts. Reste le plus difficile et le plus long, l’implantation dans des territoires, où l’abstention et le vote RN sont la règle, et le travail de politisation de toute une frange de la population. Ceci passe par une présence accrue dans ces territoires, un travail de formation et de conscientisation, qui doit sûrement prendre d’autres formes que celles d’il y a 30 ou 40 ans, ou encore l’accompagnement et le soutien aux luttes sociales et syndicales qui ne manqueront pas de se multiplier dans le contexte actuel.

LFI/UP va disposer, après ces élections, des moyens humains et financiers ainsi que d’une exposition qui constituent des atouts pour mener ce combat. Ils peuvent également s’appuyer chez certains de leurs militants historiques, sur une culture de l’éducation populaire qui reste précieuse.

[1] C’est davantage la comparaison du nombre de voix au 1er tour qui doit être observée pour juger de la dynamique même si l’évolution du nombre de voix au second tour dit aussi beaucoup de la capacité du RN à se hisser au second tour

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.