« L’ordre, l’ordre, l’ordre », voici donc le nouveau triptyque promu par le pouvoir en place. Triptyque à première vue surprenant dans la bouche d’un président de la République française, mais finalement si révélateur de la forme de plus en plus assumée que prend le pouvoir en place.
La substitution de la notion d’ordre à celles de liberté, d’égalité et de fraternité, déjà très inquiétante dans l’absolu, l’est encore plus quand on sait ce que recouvre ce terme dans la bouche du chef de l’État et des membres de ce gouvernement.
Quel est cet ordre qu’ils invoquent ?
Ce pouvoir semble en effet considérer qu’assurer l’ordre revient à remettre progressivement en cause l’ensemble des principes républicains. Car quel est cet ordre dont ils parlent ?
Est-ce un ordre au sein duquel un banal contrôle d’identité (Cédric Chouviat) ou un refus d’obtempérer (Nahel M. mais aussi les 15 autres personnes tuées durant les 18 derniers mois par la police française lors d’un refus d’obtempérer quand il n’y a eu qu’un mort en 10 ans en Allemagne) peuvent entrainer la mort?
Est-ce un ordre au sein duquel il devient de plus en plus difficile de manifester, si bien qu’une manifestation contre un projet de méga bassine se transforme en scène de guerre avec plus 5000 grenades tirées en moins de deux heures et des secours empêchés d’intervenir ?
Est-ce un ordre au sein duquel les mouvements qui déplaisent sont dissous tandis que les vitrines des librairies sont recouvertes d’un drap quand elles affichent des messages qui pourraient déplaire au ministre de l’Intérieur ?
Est-ce un ordre au sein duquel un syndicat de police appelant à la guerre contre ses concitoyens recueille le soutien explicite du ministre de l’Intérieur ou est-ce un ordre au sein duquel ces même forces de police pourraient bénéficier d’un régime d’exception ?
Est-ce un ordre au sein duquel un nombre croissant de ministres, d’ex-ministres ou de proches du pouvoir, sont empêtrés dans des affaires de harcèlement, conflits d’intérêts, corruption ou favoritisme, quand ils ne font pas tout simplement l’objet d’une mise en examen[1] ?
Un ordre au sein duquel l’ISF est supprimé et le montant des exonérations de cotisations sociales égal au double du budget du ministère de l’Éducation nationale quand dans le même temps l’âge de départ à la retraite est allongé, les règles de l’Assurance chômage durcies et les sanctions renforcées à l’égard des bénéficiaires du RSA ?
Un ordre au sein duquel un maire[2] ou une journaliste[3], mais aussi des militants politiques[4], peuvent être menacés, jusqu’à voir leurs logements incendiés ou leur véhicule saboté, et conduits dans certains cas à la démission ?
Un ordre au sein duquel, alors que la crise climatique devient chaque jour plus grave, les plus grands pollueurs font l’objet des plus grandes attentions jusqu’à être décorés ?
Un ordre au sein duquel les services publics, notamment l’école et l’hôpital, sont consciencieusement détruits quand dans le même temps des sommes croissantes d’argent public sont utilisées pour rémunérer des conseillers de chez McKinsey ?
Si tel est l’ordre dont ils semblent si fiers, on serait tenté de préférer le désordre. Une ancienne candidate PS avait fait de « l’ordre juste » un de ses slogans de campagne, le pouvoir en place lui préfère « l’ordre injuste ».
Faire table rase de la République
Un tel ordre, au service d’une minorité masquant de moins en moins son projet de sécession et d’exploitation du peuple ressemble furieusement à l’ancien régime. Car leur projet ne consiste plus seulement à « défaire méthodiquement le programme du CNR », comme l’avait avoué l’ex numéro 2 du Medef, Denis Kessler, à propos de la politique mise en œuvre par Nicolas Sarkozy[5]. Il s’agit désormais, pour une oligarchie saisie d’hybris, de remonter au-delà de 1945 et revenir, pourquoi pas, sur tous les acquis obtenus depuis 1789…quitte à employer la force, et à devenir de plus en plus dépendant d’elle au fur et à mesure que ce projet se heurte à une opposition croissante de la population.
Un pouvoir qui ne tient que par sa police, une police qui tient le pouvoir
Ce lien de dépendance oligarchie/police implique en effet que l’hybris de l’une entraine l’hybris de l’autre. Si la bienveillance des pouvoirs en place à l’égard de la police, y compris quand certains de ses membres piétinent impunément les principes qu’ils sont censés respecter, est une longue tradition, et si la police est depuis longtemps autorisée à maltraiter la jeunesse des quartiers populaires, ce lien de dépendance s’est renforcé au cours des dernières années. Un pacte faustien s’est en effet noué entre des pouvoirs de plus en plus discrédités et des représentants de syndicats policiers de plus en plus réactionnaires. Forts de l’impunité croissante dont ils bénéficient et conscients de leur pouvoir, ces derniers n’hésitent pas à tenir des propos et exiger des mesures que l’on pensait réservés à un État policier. Exigences assorties de menaces à peine voilées à l’égard du pouvoir en place.
La constance et la cohérence de LFI face à la tentation anti-républicaine devraient inspirer le reste de la NUPES
Face à une telle situation, prévisible depuis bien longtemps, on attendrait une opposition ferme et résolue de la gauche plutôt que cette forme de stockholmisation dont semble atteinte une partie d’entre elle.
On ne put qu’être accablé par la présence de l’ensemble des partis de gauche et de leurs candidats à la présidentielle, à l’exception de LFI et de Jean-Luc Mélenchon, à la manifestation aux relents factieux des policiers du 19 mai 2021, marquée par cette déclaration du secrétaire général d’Alliance « Le problème de la police, c’est la justice ». On ne peut qu’être consterné que deux ans après, celles et ceux qui participaient à cette manifestation n’aient pas tiré de leçons de leurs erreurs et aient préféré reprendre la rhétorique gouvernementale de « l’appel au calme », en jouant les idiots utiles d’un gouvernement qui a bien identifié LFI et Jean-Luc Mélenchon comme les seuls adversaires susceptibles de s’opposer à la tournure que prennent les choses.
Si le récent communiqué de la NUPES, que le PCF a malheureusement refusé de signer, appelant au rétablissement de l’ordre républicain est encourageant, il serait bon qu’à l’avenir une partie de la gauche (je n’inclus pas la gauche de droite des « Cazeneuve and co. » qui a depuis longtemps basculé dans le camp de la réaction) délaisse ce surmoi petit-bourgeois la conduisant à reprendre les mots et les postures de nos adversaires pour « faire crédible » et s’en tienne aux valeurs qu’elle est censée défendre, notamment les valeurs républicaines. Car pour reprendre une expression devenue fameuse, en ce 19 mai 2021, comme au cours des semaines ayant suivi à la mort de Nahel M.[6], la République ce fut un peu plus lui (Jean-Luc Mélenchon) qu’eux (les autres leaders de la NUPES).
[1] https://www.mediapart.fr/journal/france/060422/la-republique-exemplaire-d-emmanuel-macron
[2] https://www.francetvinfo.fr/politique/demission-du-maire-de-saint-brevin-devant-le-senat-yannick-morez-accuse-l-etat-de-l-avoir-abandonne_5830436.html
[3] https://france3-regions.francetvinfo.fr/bretagne/cotes-d-armor/la-journaliste-morgan-large-porte-plainte-pour-le-sabotage-de-sa-voiture-2742386.html
[4] https://www.lemonde.fr/politique/article/2023/07/28/jean-luc-melenchon-s-alarme-de-menaces-innombrables-apres-l-incendie-du-domicile-d-un-militant-de-lfi_6183769_823448.html
[5] Éditorial du 4 octobre 2007 du magazine Challenges
[6] Voir notamment cette interview : https://www.youtube.com/watch?v=7t78tiuYplg