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Billet de blog 1 septembre 2011

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Mercredi 27 juillet, Vie de Ruth ou «Que reste-t-il de nos e-mails»

La semaine dernière, j'ai été convié à la réunion d'une famille après les obsèques de leur doyenne.

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La semaine dernière, j'ai été convié à la réunion d'une famille après les obsèques de leur doyenne. Une dame de quatre-vingt quatorze ans qui avait illuminé de de son intelligence, de sa beauté et de son indépendance d'esprit tous les gens présents - enfants, petits-enfants, arrière-petits-enfants - et toutes celles et ceux qu'elle avait aimé, rencontré ou croisé au fil d'une vie commencée au Moyen-Orient et achevée à Paris, après de nombreuses années à Londres. Cette dame qui s'appelait depuis longtemps Ruth Browning, du nom de son second mari, Robert Browning (historien d'art anglais), avait eu auparavant deux enfants, Hani et Alain Gresh, d'un premier mariage avec Georges Gresh en Égypte après la seconde guerre mondiale. Tous deux étaient là avec leurs enfants qui lisaient quelques-unes des centaines de lettres qu'avait reçu Ruth tout au long sa vie. Lettres de ses enfants, d'amis, d'amours, d'amants.... Il y était toujours question de vies comme elles vont. Les petits qui grandissent, les études, les voyages, les joies, les détresses, les problèmes d'argent, un doute, une peine, un nouvel emploi, un rêve, des anniversaires, des bouquets de mots d'amour... et mille pensées triées entre les mille millions produites par toute vie vivante.

Toutes ces lettres étaient bien écrites. Concises, simples, concrètes. À les écouter, on se retrouvait vingt ans, quarante ans, soixante-dix ans en arrière en Orient, à Paris, en Italie, à Cuba... Les souvenirs affluaient, l'émotion pointait. Le moment était théâtral. Ces lettres qui tout en "racontant" une vie, en évoquaient d'autres, recelaient un fort potentiel dramatique. L'une d'elles aurait pu révéler un secret, un malentendu ou apporter une autre lumière sur quelqu'un ou quelque chose. La question de leur devenir - que faire de tout ça, de toutes ces histoires, de ces milliers de feuilles - ouvrait aussi à un débat au présent. On proposait de se les distribuer, de les archiver en un lieu unique ou de les offrir à un fond pour celles écrites par des gens connus. À les examiner de près, on pouvait également remarquer qu'une même personne n'avait jamais exactement la même graphie. Selon la période de sa vie bien sûr mais aussi selon son humeur du moment. Et, à la fois, l'extraordinaire potentiel dramatique de ces lettres me faisait penser à la très grande pauvreté de la plupart des courriers électroniques que nous nous échangeons aujourd'hui. Courriers par lesquels nous nous communiquons le plus souvent un nombre plus ou moins important d'informations sans vraiment écrire, sans vraiment parler, sans vraiment raconter.

À l'écoute de la lecture de ces lettres, je voyais non seulement se former encore plus clairement et amplement la vie de Ruth (que je connaissais un peu), mais je la regardais aussi s'éloigner de nous avec le monde ancien auquel elles appartenaient et dont elles témoignaient. Je me demandais alors comment (et de quoi) témoigneront de nous les milliards de mots que nous faisons tourner aujourd'hui vingt-quatre heures sur vingt-quatre à des vitesses inimaginables autour de notre très vieille Terre.

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