Cette année, je tiens un journal quotidien en ligne pour découvrir comment parler de ce dont j'ai envie de parler. Ce qui est aussi mon projet quand j'écris pour le théâtre. Mais ici, dans le cadre de l'espace public Mediapart, et au jour le jour, cet exercice présente des contraintes différentes et plutôt stimulantes. Pour le billet d'hier donc et face au déferlement de réactions (mediapart & facebook), dont certaines ont été des attaques personnelles, je voudrais juste dire ceci. Je vois que le titre et la première partie du billet ont prêté le flanc à la polémique et éloigné beaucoup de lecteurs de ce qui, finalement, me tenait le plus à cœur. Or, ce qui m'importait en l'écrivant, ce n'est d'abord pas d'avoir entendu pour la énième fois des propos nauséabonds que j'ai entendu un peu partout ailleurs, en France et à l'Étranger. Mais c'est d'avoir vu (et c'est ce que j'essaie de décrire dans la dernière partie de mon billet), trois personnes se vider de mots qui semblaient ne pas leur appartenir, de mots qui semblaient avoir été mis en eux et qu'une fois que tous ces mots avaient été déballés, eh bien, il n'y avait plus rien. Mais vraiment rien. Et j'ai pu, malgré mon écoeurement, voir l'inquiétude et l'angoisse qui a gagné ces personnes quand elles ont eu terminé de vider leur sac. Elles se sont retrouvées exposées dans une fragilité qui faisait presque peine à voir. C'est de ça dont je souhaitais, en premier lieu, témoigner.
Ensuite par rapport à la (vaste) question du Racisme en Corse, ce que je peux dire - à partir de mon histoire (je viens d'une famille d'ouvriers communistes corses et espagnols et des quartiers qui étaient dans les années'60, les plus pauvres de Bastia) et à partir de mon travail à Ajaccio depuis plus de dix ans - c'est qu'il n'y en a peut-être pas plus que dans d'autres régions ou pays où j'ai pu travailler et voyager. Mais ce qu'il me semble avoir de particulier, c'est qu'il peut s'y exprimer sans que cela prête vraiment à conséquence. En Corse, je peux être invité dans une famille où quelqu'un va tenir des propos racistes sans pour autant quitter la table que je quitterai n'importe où ailleurs. Je vais bien sûr réagir, dire ce que je pense, (et décider de ne pas revenir) mais avec toujours quelque part à l'esprit, une attention portée à une chose: faire attention à ce que ça ne dégénère pas. Comment faire ? Eh bien, ça ne passe pas par une recette mais par la tentative de trouver, à chaque fois, une sorte de compromis. Chacun dit ce qu'il a à dire et la communauté est sauve. L'art du compromis, en Corse, peut-être plus qu'ailleurs, c'est la condition nécessaire à la sauvegarde de la communauté. La Corse est un gros village de 300 000 habitants, et un village, comme disait Serge Daney, ça n'a pas besoin de critiques, mais de conteurs. Au plus fort des luttes armées entre factions nationalistes dans les années '90, je me souviens d'une vieille Corse qui avait dit sur ce sujet – C'est monstrueux, ce sont des monstres, mais ce sont les nôtres.
Nous touchons là à une complexité qu'il m'est nécessaire d'explorer, non de juger.