Batignolles, Paris.
Je vis sur rue dans un quartier à sens uniques.
Quelques commerces et entreprises ont besoin d'être livrés chaque jour de semaine. Avec notre maire, il n'y a aujourd'hui quasiment plus de places de stationnement et donc plus de places de livraisons libres. Les livreurs bloquent la rue. Derrière, ça klaxonne, ça a toujours klaxonné et ça klaxonnera toujours. Mais ce qui change depuis peu, c'est que ça klaxonne instantanément. Un véhicule de livraison s'arrête, le livreur n'a pas encore ouvert sa porte et c'est parti. Et ce n'est bien sûr pas le petit coup de sonnette - Coucou, je suis là. Non, c'est le son "Coup de poing". Long, fort, rageur. D'autres autos arrivent et c'est l'hallali. La plupart du temps, les livreurs adressent aux enragés des V avec les mains ("j'en ai pour deux minutes"), ou les mettent furtivement en l'air avec une grimace de dépit (geste non adressé: "je sais mais je n'y peux rien"). Et bien que j'aime beaucoup les bruits de la ville, ce dont je rêve depuis que les nerfs de mes contemporains s'effondrent de cette façon, c'est de stocker chez moi des oeufs pourris pour les leur tirer à la première occasion. J'en ai rêvé, d'autres l'ont fait. Deux jeunes garçons. Du quatrième en face de chez moi et en rigolant. Deux oeufs sur un beau 4x4 noir. Lave-vitres, essuie-glaces - et quoi de plus beau que de voir un engin pareil faire marche arrière et s'en aller chercher une autre solution après s'être pris en sus, les voeux d'un livreur, lui aussi énervé ce jour-là:
- "Allez vous faire enculer, bande de nazes !!!"