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Billet de blog 9 janvier 2015

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Rome, hier - C'est un journaliste français, jette-le dehors !

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

   Hier, en cherchant le cimetière militaire français de Rome où sont enterrés tant de jeunes musulmans morts pour libérer l’Europe du nazisme, je suis tombé sur un bar tenu et fréquenté par des fascistes. Il se trouve à deux pas du Ministère des Affaires Étrangères et à trois du Stade Olympique, au pied d’une colline boisée en friches que je m’apprêtais donc à gravir pour rejoindre le cimetière. J’avais soif. De loin comme de près, rien ne m’avait prévenu de ce que j’allais trouver dans cette cabane de bois scellée sur une dalle de béton et clouée à des pins parasols, près de voies rapides qui s’engouffraient plus loin sous un tunnel. Les quatre gros garçons chauves et mal rasés avachis devant leurs bières en terrasse braillaient fort mais sans plus. C’est en franchissant le seuil de la cabane, et à la vue des trois alcooliques complètement imbibés à quatre heures de l’après-midi au comptoir et des deux qui se trouvaient derrière, que j’ai eu mon premier éclair. Une vision confuse faite de la première scène de Il était une fois dans l’Ouest, de celle du « Pile ou Face » dans No country for old men (des Frères Coen) et du premier chapitre de Sanctuaire de Faulkner. J’ai un instant pensé qu’il valait mieux là tout de suite ne pas être une fille.

- Che vuole ? / Vous voulez quoi ? me lance un deux types dans un sourire de râtelier – tricot de corps douteux, chemise western élimée, cardigan troué, lourde croix d’alu en pendentif. Le patron, c’est lui.

- Acqua, per piacere. Una bottiglietta / De l’eau, s’il vous plaît. Une petite bouteille.

Guarda indietro / Regardez derrière vous (frigo self-service).

Je me sers avec l’envie de la boire dans un verre que je ne veux soudain pas demander en croisant le regard vitreux d’une des trois épaves au comptoir, mais que je demande quand même en bégayant. Le patron me sauve la mise en me tendant un gobelet, toujours en souriant. Je l’attrape, rougissant, je m’accoude. Au loin, derrière la caisse, une femme toute petite, la soixantaine bien sonnée et couperosée regarde dans le vide. Peu enclin en général à regarder moi aussi dans le vide (comme le font finalement la plupart des gens qui sont là) et n’osant regarder ni devant ni derrière le comptoir, ni vers la dame, ni vers les gros chauves, je m’efforce de scruter ce que j’ai à portée de main : le plafond et une cloison de planches brutes dotée d’étagères où sont présentés, dans un alignement aléatoire, une vingtaine de bouteilles de vin et tout un ensemble d’objets et de livres à l’effigie et à la gloire de…. Mussolini. Le patron me voit les voir.

Ecco il nostro grand’uomo ! Benito ! / Voici notre grand homme !

Je lui souris et comme pour le féliciter – Questo si vede da poco. È raro. / Ça, on ne le voit pas souvent. C’est rare.

-  Et come no !? Sai (passage au tutoiement), lui quì, c’ha fatto tutto / Tu sais, lui, ici, il nous a tout fait. C’ha fatto lo stadio, la swimming-pool, la piscine, come dicono i Francesi, palestre / gymnases, questo palazzo quà (il m’indique la direction du Ministère). Il Duce, c’ha fatto tanto bene ! Quì vedi, noi tutti (du menton, il me montre les gens présents) siamo ammiratori di Benito, grand’ammiratori !

Posso prendere una fotografia ?

E anche una bottiglia di vino ! È buono ! Pugliese ! Vin des Pouilles !

J’en prends une. À l’effigie de Mussolini casqué.

-  Quant’è ?

-  Sette euros. Non è caro. Vino di Benito, Vino benedetto ! Vin béni ! È acqua santa ! C’est de l’eau bénite.

Une épave m’approche, me sourit - plus que trois dents (gatées) : - Su questa quà (celle que j’ai en main) Mussolini fà la guerra. E sù questa lì (celles où, en uniforme noir, il salue à la romaine), ci salut’ a noi tutti, popolo d’Italia. (Tout le monde sourit dans le vide). Hai visto lo stadio, le statue…

À propos des statues, oui, je les ai vues ces hautes statues épaisses qui encerclent des pistes d’athlétisme (où s’entrainent des enfants et des adolescents). Des colosses nus qui jouent au ballon, au tennis, qui portent des skis… Et la longue colonne qui porte l’inscription MUSSOLINI DUX à l’entrée du stade, je l’ai vue aussi. Je le lui dis, ça lui fait plaisir et comme je sens le regard de la patronne de plus en plus pesant, j’enchaîne (clin d’œil complice entre ragazzi) – Ma perchè i cazzi delles statue sono tutti danneggiati, mutilati ? O coperti di un foglio di vigna ? Mais pourquoi les bites des statues sont toutes abimées, mutilées ? Ou couvertes d’une feuille de vigne ?

-  E perchè ? Secondo tè, perchè ? Sai, il Duce, ha avuto quatro cento donne ! I coglioni, gli aveva grossi così ! Et pourquoi, d’après toi, pourquoi ? Tu sais, le Duce, il a eu quatre cent femmes ! Les couilles, il les avait grosses comme ça.

Je me retourne vers le patron.

Allora questa fotografia, la posso prendere ?

E sì, prendila pure !

Et là, de la caisse, un cri.

-  Ma no ! Io non voglio ! Dila di no ! Non ti ricordi, i problemi che abbiamo avuto con l’altro giornalista ! Mais non, moi je veux pas ! Tu te souviens pas, les problèmes qu’on a eu avec l’autre journaliste !

Scusi Signora, ma Io, non sono un’ giornalista.

La patron : - Da dove vieni ?

Di Francia.

Le patron : - Parigi ? (fin du sourire. Regard perçant).

-  No, di Corsica. Bastia.

-  Ah, ecco allora, tutto va bene. Viene da Corsica. Bastia ! Bella, a Corsica ! Prendile pure le fotografie… Prendi.

De la caisse, un dernier cri.

-  Io ti dico di No ! È un’giornalista francese ! BUTTALO VIA ! Jette-le dehors !

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