Paris, rue du Plateau, fin d'après-midi.
Au moment de payer la note de la course, le chauffeur du taxi, tout rond, tout noir et très large d'épaules me montre ses mains.
- Qu'est-ce que c'est ça, Monsieur ?
- Vos mains ?
- Alors pourquoi, vous, Monsieur, vous avez posé l'argent là (il m'indique son accoudoir droit).
- Parce que vous étiez en train de me préparer ma note.
- Ce n'est pas une raison. Ceci (l'accoudoir) n'est pas un comptoir. J'ai des mains. Vous avez des mains. Vous reprenez votre argent, vous le mettez dans mes mains.
- Pourquoi ?
- Parce que c'est comme ça.
- C'est comme ça ?
- Chez moi, c'est comme ça.
- C'est où chez vous ?
- Guinée-Bissau.
- Moi, c'est Japon. Osaka (je n'ai, à ma connaissance, aucun Japonais dans mon arbre généalogique).
- On dirait pas.
- Je sais. Mais Japon quand même.
- Alors tu mets l'argent dans ma main.
- C'est très impoli ça chez moi.
- Ah bon (il monte d'un ton). Et pourquoi ?
- Pourquoi, ça j'ai oublié, mais au Japon (où je n'ai jamais mis les pieds), il n'est pas mal vu de déposer l'argent entre deux personnes, de s'incliner l'un devant l'autre selon des degrés de prof...
- On n'est pas au Japon ici !
- Sans vouloir vous offenser, Monsieur, car je n'aime pas offenser et, de plus, je dois rester calme pour le travail qui m'attend dans une heure, permettez-moi de vous faire remarquer que nous ne sommes pas non plus en Guinée.
- Si je vous mets la note là (sur l'accoudoir), vous êtes content ?
- Oh posez-la où vous voudrez et ça ira très bien.
- Alors, puisque c'est comme ça, je la mets là (sur l'accoudoir) et tant pis pour vous.
- Merci Monsieur et bonne soirée.
- Moi, je ne vous dis pas une bonne soirée.
- Bonne soirée quand même.
- Bon. Bonne soirée.