Pas de neige à la neige ! Les fûts floconnent et les fondus du fond dévalent comme des virgules qui netrouvent nulle phrase où s'accrocher. Pas le moindre flocon depuis un mois. Pentes d'arbres et d'herbes brûlées par le froid jusqu'au pied des cimes. Mais il faut que ça skie. Car sinon, que faire dans une station de sports d'hiver ? Tout y est prévu pour glisser sur la neige. Pour s'épuiser à le faire, pour s'y affamer, pour s'y déshydrater, pour s'y faire du bien, pour s'y escagacer… et si elle n'est pas là, oui, on peut toujours en profiter pour se reposer au grand air, pour prendre soin de soi, pour goûter "les produits du terroir"… etc… mais chacune de ces activités ainsi dissociée de l'activité reine s'en trouve comme orpheline, insipide et, à vrai dire, dénuée d'intérêt. Comment jouir d'une fondue savoyarde après une journée d'errance ou de chaise longue en plein soleil ? Comment combler un corps en manque des sensations exceptionnelles procurées par mille millions de glissades ? L'actualité brûle. Dans le "monde arabe", des révolutions éclatent, d'autres grondent, tonnent, on s'immole, on se bat, on hurle, on ne dort plus, on meurt, des dictateurs font tirer sur des foules, puis s'envolent et les peuples chantent et dansent. Mais ici, avec ou sans neige, nous semblons si loin de tout. "Des échos de bruit nous arrivent parfois" (Ungaretti). On pourrait à la limite voir débarquer un de ces vieux tyrans en hélicoptère et la chronique locale en serait quelque peu bousculée. Mais imaginer que malgré le manque de neige, on aille brandir ses bâtons devant la mairie (et d'ailleurs, où est la mairie) en soutien au peuple algérien ou yéménite, non, franchement, non. Une bonne pièce de théâtre, un bon film pourrait occuper (voire combler) l'esprit rendu vacant de nos skieurs désoeuvrés mais là aussi, déception. L'unique salle obscure et une sorte de "salle des fêtes" étant elles aussi soumises à l'activité reine, elles semblent n'avoir pour fonction que de nous préparer au sommeil. Ce n'est pas ici que vous comblerez vos lacunes en matière de cinéma burkinabé ou de théâtre Nô. Une bonne orgie - "une fondue sexuelle" comme dans Astérix chez les Hélvètes pourrait faire diversion. Avec en gage un plongeon dans un lac glacé pour celles et ceux qui font tomber leur morceau de pain dans le fromage liquéfié. Mais même sans aller jusque-là, un bon coup de foudre et votre semaine est sauve. Voyons voir. Des couples, des couples, des couples, des bandes, des groupes... et les rares isolé(e)s regardent ailleurs. À moins d'avoir un esprit vraiment romanesque ou de n'avoir vraiment pas réussi son analyse. Vous pourrez alors jouer votre propre (premier) rôle dans un film que vous écrirez au jour le jour et rêver que si toutes ces belles filles aux dents impeccables et pleines de santé évitent vos regards insistants, c'est par respect pour leurs maris. Le titre en serait L'Intrus. Vous êtes l'Intrus. Vous avez ainsi créé votre bulle dans la grande bulle qu'est finalement une station de sports d'hiver. Que vous soyez aigle en votre royaume, nul ne saurait en douter. Mais si vous croisez des hordes de maris jaloux qui jouent, eux, à "Cherchez L'Intrus", fuyez votre film, plongez plutôt dans Richard III et déclamez du haut des crêtes - Des flocons, des flocons, mon royaume pour des flocons !!!
Billet de blog 14 février 2011
Samedi 12 février, Mon royaume pour des flocons !
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