Depuis six semaines, des marins de la Société Nationale Corse Méditerranée (SNCM) sont en grève. La Corse est ravitaillée par la Compagnie Méridionale de Navigation (CMN). Pas de grands cris sur l'île mais les propos habituels - "Mais qu'est-ce qu'ils nous font chier encore, avec leurs salaires de ministres...". Pas de couverture médiatique nationale. Tout va bien. Tout va bien !? Allez hop, on bloque tout. Les navires de la CMN, les Corsica Ferries, les ports de Marseille et de Toulon. Grands cris sur l'île (qui serait bien en peine de subvenir seule à ses propres besoins), on sonne la charge, les télés déboulent et, dans la nuit de mercredi à jeudi, les ports (et la Corse) sont libérés. Jeudi soir, nous appareillons de Marseille escortés par des canots rapides de la police et protégés d'un retour éventuel des fauteurs de troubles par une dizaine de fourgons blindés postés au bout des digues. À bord du Kalliste (CMN), nous glissons entre les gros vaisseaux immobilisés de la SNCM et, en même temps, nous voyons sur les écrans du bar du Kalliste l'assaut de la nuit et les cris de colère des grévistes. On dit que "... les marins de la SNCM sont des nantis", "des pourris par l'argent", "qu'ils ont tué la poule aux oeufs d'or...". Pour avoir été matelot à la SNCM à la fin de l'âge d'or (1978-1987), ce que je peux dire, c'est que ce dont nous rêvions - les quelques jeunes syndicalistes CGT que nous étions - ce n'était pas de se "gaver" toujours plus, c'était surtout de montrer que tout ouvriers que nous étions, nous pouvions nous aussi être des princes. Que nous avions - en cas de mécontentement - cette possibilité de bloquer nos bateaux, de descendre sur les quais, de les regarder, nos bateaux emprisonnés derrière des grilles portuaires, et d'aller discuter, réfléchir et agir (donc, penser) en assemblée ou d'homme à homme pour chercher des solutions - des compromis - viables pour tous. Et cette possibilité, cette liberté que nous éprouvions PHYSIQUEMENT, et donc aussi MENTALEMENT, nous la rêvions pour tous les autres ouvriers (même si beaucoup médisaient de nous). Quand nous entrions dans les bureaux de la Direction avec l'inoubliable Paul Morrachini (un des derniers aristos et grands parleurs de la fine fleur du monde ouvrier), nous étions des lions. Café frais, verre d'eau, politesse de rigueur. En cas de non entente, nous retournions jouer à la pétanque, regarder passer les filles et les nuages. Les CRS ? C'est au mitan des années '80 qu'on a commencé à nous les envoyer. On a pris des coups, on en a donné. Les derniers cris dont j'ai été un témoin direct étaient pareils à ceux de jeudi. Colère et désespoir. Ensuite, je n'étais plus là pour la longue agonie des années '90 et pour assister à la mort de nos utopies. Jeudi soir, en regardant ces visages révulsés et ces poings brandis qui chantaient à tue-tête (à tuer tout ce que l'on a de mauvais, d'angoissé dans sa tête ?) La Marseillaise, comme pour en appeler non pas à une révolte, mais au moins à un soutien populaire, je me souvins de cette remarque de l'immense artiste de théâtre italien, Carmelo Bene - Je fais du théâtre populaire, mais il n' y a plus de peuple.
Billet de blog 14 mars 2011
Jeudi 10 mars, Mais qu'est-ce qu'il veulent encore, ces marins de la SNCM !?
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