Promenade dans les quartiers des Cannes et des Salines, avec Liza.
Garés rue Ange Moretti, en vue d'une très belle demeure (Palais Bacciochi, nous dira-t-on plustard) et au pied d'un immeuble délabré et bas qui abrite un salon de thé associatif. Salle blanche, nappes rouges, chaises de bureau. C'est clair, propre, décoré par des objets et des petits tableaux réalisés dans des ateliers proposés par l'association (Atlas) – affiche promotionnelle bien visible. Une des quatre femmes habillées en cuisinière nous demande si nous venons pour "l'atelier couture". Les trois autres cuisinent. Thé à la menthe, sourires, pâtisseries marocaines assez fades – cinq euros et soixante-dix centimes.
On repart, nez au vent.
On regarde autour de nous, on scrute, on cherche à y voir quelque chose, un détail, une accroche. Mais on glisse un peu à la surface. Immeubles bas, linges aux balcons, aux fenêtres, c'est souvent propre sur le devant, sale derrière, parkings et squares fatigués, peu de gens dehors, quelques vieilles personnes abîmées au ralenti. Parfois, entre de nombreux rideaux de fer baissés, un bar, une boulangerie, un marchand de journaux, un tatoueur, une antenne sociale et le long du boulevard de l'Abbé Recco – "la Rocade" – des bouts de maquis. Enchevêtrements de ronces, de bambous, de chênes et d'innombrables espèces végétales sous lesquelles pourrissent des ordures. Passage par la Médiathèque des Cannes. À l'accueil, un homme gros, chauve et espiègle, une femme brune et aimable. Un autre homme feuillette un magazine, une autre femme, un journal de la veille. Aménagements sommaires. Peu de livres, peu de films, peu de bandes dessinées. Ça ressemble à une petite bibliothèque associative.
On sort. On a du mal à se situer sur un plan qui présente le projet de rénovation urbaine de ces quartiers. On entre de nouveau pour se renseigner. Mais ni l'homme gros ni la femme aimable ne peuvent nous dire où nous sommes avec précision. On emprunte un chemin qui s'enfonce dans un bout de maquis sous un immeuble brûlé – l'ancien collège Finosello. On y croise des adolescents, deux hommes en scooter et nous voici dans le quartier du Finosello qui n'a l'air d'appartenir, d'après un jeune pharmacien et d'après notre plan, ni au quartier des Cannes, ni à celui des Salines vers lequel nous allons, par la Rocade, boulevard Sebastianu Costa. D'après une archéologue locale, des fragments de poterie du 1er au 4è siècle attestent d'une présence humaine sur cette colline à cette époque. Je scrute le sol et montre à Liza des objets piétinés (des "piétineries") aux formes parfois étonnantes – boîtes de bière, paquets de cigarettes… Nous entrons dans le quartier des Salines par le haut de l'avenue du Maréchal Juin qui relie le haut de cette colline à la mer. Comme dans Les Cannes, tous les noms de voies sont des noms d'hommes qui, s'ils ne sont pas tous glorieux, sont néanmoins affublés de prénoms qui le sont – Pierre, Vincent, Achille, Jean, François, Paul… Sous un immeuble d'une dizaine d'étages, un homme finit de débarrasser une sorte de brocante sauvage. Des enfants et des adolescents rentrent de l'école par la grande avenue et par des chemins détournés qui serpentent entre des parkings, des cours d'immeubles et des zones de maquis. Une voiture déboule à toute vitesse sur une voie étroite et cabossée. Si un enfant y rêve, il est mort. Chantier de la future école Candia. Personne. Il n'est pourtant que dix-sept heures. Nous nous rendons à la permanence du Père Marcel dans l'église Saint-Paul. On le voit partir à pied. Liza lui court après. Rendez-vous samedi. Dernière étape au comptoir du bar PMU le Calao (tout près de notre point de départ) le long de la très bruyante nationale 193 à six voies dite (anciennement) à cette hauteur, Cours du Prince Impérial dans un sens, Boulevard Charles Bonaparte dans l'autre. Dedans, que des hommes. Vieux ajacciens joueurs de rami, dignes et sobres, deux arabes en discussion devant une bière, deux autres isolés et tristes, quelques alcooliques alcoolisés hilares, d'autres très sombres. Écrans plats pour les courses. L'espace PMU ressemble à une salle de shoot sauvage. Hommes nerveux, inquiets, angoissés, plutôt âgés. L'un d'eux, voûté, cassé, regard morne rivé sur un écran, un paquet de gauloises vide et un billet de cinq euros entre ses doigts jaunes et tremblants, tète un vieux mégot.