Et vendredi à l'aube, du pont du bateau, comme Napoléon 1er et Astérix, nous l'avons sentie avant de la voir, la Corse ! Lever du jour sur la mer, cercle rouge au pied de l'île d'Elbe, une pensée pour le Japon, cimes du Cap Corse sous la neige et Bastia enfin, aux mille fenêtres piquées des mille reflets rouges du soleil levant. Journée de travail ordinaire au théâtre municipal, ancien grand opéra délabré et sauvé de la ruine comme on peut. Des hommes compétents au plateau, efficaces et dévoués, mais sieste dans les étages, les bureaux, sieste à la mairie, sieste en ville, sieste partout - C'est tranquille, Bastia, me dit un adolescent, c'est vraiment tranquille, on n'est pas mal, on vit bien. Mais moi dès que j'ai le bac, je m'en vais parce que c'est ça qui est vraiment dur, c'est que c'est vraiment tranquille.
À la tombée du jour, les murs de la grande salle de spectacle se mettent à parler, le très haut plafond à résonner d'applaudissements. On court voir. Dédales de grands et larges escaliers de pierre. Ça vient des combles, un, deux, trois paliers, ça grimpe, un couloir, deux, ancienne grande salle de bal pleine de vieux et de vieillards assis. Soirée du Parti Communiste. À la tribune, un homme d'une soixantaine d'années défend la cause des marins de la SNCM en grève, dénonce les manoeuvres du gouvernement pour faire se dresser les ouvriers les uns contre les autres, argumente, décrit les façons de faire, de parler, donne des chiffres, des statistiques, il a raison, il a tout le temps raison, ses camarades près de lui avec, en majesté, l'idole de ma pauvre grand-mère (dont beaucoup d'anciens camarades sont là) Dominique Bucchini. Nous jouons dans une heure et je cherche à savoir à quelle heure se termine cette rencontre.
- Oh dans cinq minutes, me souffle un ancien docker. Après, ça nous fait trop tard.