Mardi 15 février, Neige d'Irlande sur les Alpes

Il a dû neiger sérieusement cette nuit. Ce matin tout est blanc. Il continue de neiger, mais comme il neige à la fin de la nouvelle de Joyce Les morts, adaptée au cinéma par Huston sous le titre Gens de Dublin - des points de suspensions infiniment légers. Les rares bouts de terre encore visibles sont trempés de brume et des montagnes de nuages coiffent les sommets et se défont, par moments, pour envahir les vallées. Rien à voir avec les paysages irlandais, même sous la neige, décrits par le grand James et filmés par le grand John. La nouvelle et le film sont inoubliables. On y réveillonne le soir de Noël dans un cercle bourgeois de Dublin au début du siècle dernier. Discours, chants, conversations, blagues, dinde, pièce montée, et sous les conventions, sourd un océan de silence, de sensations, d'images et de mots qui sont comme les flocons d'aujourd'hui. Un couple est au cœur de ce petit monde qui à l'approche de la fin, doit se saluer, se défaire, s'endormir et rêver pour retrouver, dès le lendemain, l'envie et la force de se voir et de se revoir. L'épouse est jouée par Angelica Huston, la fille de son père. Le mari, par un acteur magnifique dont j'ai oublié le nom. Le jour va poindre, il est déjà dans le vestibule en train de se couvrir, son épouse dit ses derniers Au revoir, emprunte l'escalier pour le rejoindre et, au premier palier, elle est arrêtée net par un dernier chant qui descend du salon. On la voit écouter ce chant jusqu'au bout. On voit son corps caressé, secoué, ébranlé, pris, retourné par ce chant qui prend toute la place. Un moment après, ils ont rejoint leur chambre. Le mari demande une explication à son épouse. Elle lui dit que ce chant lui était chanté par son premier amour, mort adolescent. Et elle le lui dit d'une telle façon que le mari en est totalement effondré. Les derniers plans couvrent les landes irlandaises dans le nouveau jour qui se lève et sont portés par la voix du mari qui parle de choses qui lui sont encore incompréhensibles.