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Billet de blog 18 mai 2011

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Mercredi 4 mai, Madame Sottas est morte

Madame Sottas vivait au dernier étage du 78 de la rue Legendre, au coeur des Batignolles depuis toujours. Elle y était née il y a longtemps. Elle y a passé sa vie auprès de sa mère qu'elle avait retrouvée un jour dans leur salon, endormie pour l'éternité. On dit que sept à huit personnes avaient assisté aux obsèques de cette très vieille dame en l'église Sainte-Marie des Batignolles.

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Madame Sottas vivait au dernier étage du 78 de la rue Legendre, au coeur des Batignolles depuis toujours. Elle y était née il y a longtemps. Elle y a passé sa vie auprès de sa mère qu'elle avait retrouvée un jour dans leur salon, endormie pour l'éternité. On dit que sept à huit personnes avaient assisté aux obsèques de cette très vieille dame en l'église Sainte-Marie des Batignolles. Nul ne sait aujourd'hui où elle repose. La police enquête. Car Madame Sottas vient à son tour de mourir. J'ai longtemps été son voisin de palier. On se voyait presque tous les jours. Minuscule, menue, elle s'en allait chaque matin, vêtue selon le temps et la saison, un tout petit cabas au bras faire une promenade et ses courses. Retour cinq à dix minutes minutes avant midi. Enfilait les six étages d'un bon pied. S'était toujours prononcé contre l'installation d'un ascenseur - Car nous serions bien embêtés, nous, au dernier étage, avec le bruit du moteur. Les derniers temps, on m'a dit qu'elle marquait une pause au troisième. N'habitant plus à cette adresse mais pas loin, je ne la croisais plus que dehors. Le plus souvent, rue des Batignolles, nez au sol, il fallait l'interpeller, elle semblait ne rien voir, ne rien entendre, ne jamais vouloir déranger. Au cours de brèves conversations, elle ne pouvait s'empêcher de dire - Oh, je ne vais pas vous retenir, vous avez mieux à faire. De sorte que même en insistant, on ne recueillait toujours que des miettes de sa vie. Elle aurait travaillé comme secrétaire dans une étude - notaire ou huissier. Il y a presque vingt ans, elle serait allée passer une semaine à Hyères. Elle avait bien entendu une mémoire phénoménale du quartier mais là aussi, une taiseuse. Elle m'avait parlé des grandes salles de cinéma des Batignolles, des salles à mille places, aujourd'hui des parkings et du théâtre Hébertot, boulevard des Batignolles. À propos de théâtre, je ne manquais jamais de lui glisser une invitation quand je jouais à Paris. Et quelque soit l'endroit ou la saison, elle venait. S'enfonçait parfois loin en banlieue l'hiver pour ça et ne manquait jamais, elle non plus, de m'en écrire quelques mots au dos de cartes postales aux motifs religieux. Ces cartes, j'y avais également droit pour le jour de Noël. Là, elle m'y invitait à "garder espoir". Espoir de quoi ? La dernière fois que je l'ai vue, c'était près du Carrefour de Villiers, presque aux abords du parc Monceau - Et alors, Madame Sottas, qu'est-ce que vous faites là ? Ah bien que voulez-vous, il faut bien sortir des Batignolles de temps à autre, faut voir du pays, surtout quand on est jeune, avait-elle ajouté dans un sourire plein de malice. Depuis dix, quinze jours, plus personne ne la voyait. Ni dedans, ni dehors. On cognait à sa porte. Silence. le courrier s'accumulait dans la boîte. Et comme personne ne l'avait jamais vue partir plus d'une demi-journée, on s'en est inquiété. Les pompiers sont passés par la fenêtre de la cuisine et ont aussitôt demandé à la dame qui les avait alertés de ne pas rester car ce n'était pas beau à voir. Et la police enquête car on ne lui connaît pas d'amis, pas de famille. Sans nouvelles de personne dans trois mois, elle ira de la morgue à la fosse commune. Nous nous cotisons pour lui offrir une messe qui sera dite vendredi matin (19 mai) en l'église Sainte-Marie des Batignolles. Elle s'appelait Odette, je crois.

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