La semaine dernière en Corse, en une après-midi, on a tué et tenté de tuer à quatre reprises. Deux morts, trois blessés. Depuis trente-cinq ans (j'an ai cinquante), je n'ai jamais connu, sur mon île natale, une période de paix. En politique, dans les mafias et, par effet de contamination, dans l'ensemble de la société, le meurtre fait partie des possibilités de régler plus ou moins définitivement, une affaire d'argent, un contentieux commercial, un problème affectif, une frustration intime, une rivalité politique, une dispute... De sorte qu'il ne vient plus à l'esprit de presque personne de s'alarmer pour un énième assassinat. En Corse ou pas, d'ailleurs. L'autre jour, dans le quartier où je vis à Paris (Batignolles), je croise des connaissances qui me lancent avec un mauvais accent marseillais (au nord de la Loire, on suppose que de Menton à Bayonne en passant par Bonifacio, tout le monde a l'accent marseillais) - Oh putaingue, ça tire seque dans ton pays ! Je me demande bien comment ils l'ont su parce que côté médias, c'est pareil, ces quatre meurtres ont fait cinq lignes d'une dépêche AFP dans la presse nationale. Bien. Sur l'île, comme je le disais, nulle alarme véritable quant à l'acte de tuer mais depuis deux trois ans, les réactions changent. Désormais, on s'indigne. Et pourquoi ? Il est, on le sait, dans l'air du temps de s'indigner. Mais en Corse aujourd'hui, on s'indigne de la façon dont on tue. À n'importe quelle heure du jour et de la nuit et n'importe où. Devant une école, dans un porche d'immeuble, sur un parking, dans une rue très fréquentée... on vide des chargeurs, ça tire dans tous les sens, nul n'est encore mort d'une balle perdue "mais ça va bien finir par arriver" et bien que ce ne soit finalement pas beau à voir, un meurtre, on finit toujours pas entendre - Tant qu'ils se tuent entre eux - ou bien - S'ils l'ont tué, c'est qu'il devait y avoir quelque chose. Comme si il allait vraiment de soi que l'on peut être assassiné pour quelque chose. Ce qui est, in fine, le point de vue des tueurs.
Billet de blog 19 novembre 2011
En Corse, le point de vue des tueurs
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