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Billet de blog 20 janvier 2012

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Conrad, J.L.G. et le Concordia

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Joseph Conrad a écrit au sujet du naufrage du Titanic. Deux textes pour des revues américaines, puis publiés à Londres en 1924 et '26 (Arléa 2009 pour la traduction française). On y découvre l'indignation du marin qu'il fut face au bouleversement d'un monde, "celui des hommes de mer sacrifiés à la nouvelle économie et au tourisme". Il y raconte qu'à partir du moment où l'on construit des hôtels flottants conçus par des commerçants à la place de navires conçus par  des marins, on s'expose à de graves dangers et à de grandes désillusions. Et il le raconte sur la base des nombreuses enquêtes qui, tout en révèlant de nombreuses anomalies à tous les niveaux - construction, navigation, moyens d'évacuation... - cherchent à en souligner (sous quelle autorité ? pression ?), la cohérence. Exemple: selon l'une de ses enquêtes, si les fameuses cloisons étanches du Titanic n'ont pas bien fonctionné, c'est parce que ce "géant des mers a frappé l'iceberg par le côté et non de plein fouet". Un choc et une voie d'eau par l'avant auraient été mieux maîtrisés. Là, Conrad s'énerve un peu, of course - Le principe de la nouvelle navigation: en cas de doute, foncez, quoi qu'il y ait devant vous. Simplissime. Ailleurs - Vous construisez un hôtel de quarante-cinq mille tonnes, fait de fines tôles d'acier, pour assurer la sécurité d'une clientèle, disons de quelques centaines de riches particuliers (car s'il ne s'était agi que d'immigrés, de telles éxagérations de taille n'auraient jamais été commises); vous le décorez dans un style Pharaon ou Louis XV, et pour plaire à cette petite poignée d'idiots qui possèdent plus d'argent qu'ils n'en peuvent dépenser, vous lancez cette masse sur les eaux, sous les applaudissements de deux continents, avec deux mille personnes et à une vitesse de vingt et un noeuds - démonstration de cette foi aveugle dans la modernité de simples machines et d'ineptes matériaux. Puis le drame se produit. Tumulte général. La foi aveugle qu'on vouait aux machines et aux matériaux reçoit un coup fatal. (Je ne dirai rien de la crédulité avec laquelle furent avalées toutes le déclarations que les spécialistes, les techniciens et les bureaucrates se plurent à répandre, à des fins de gloire ou de profit.) Et l'on demeure là, stupéfait, blessé dans sa sensibilité la plus profonde. Mais compte tenu des circonstances, à quoi d'autre pouvait-on s'attendre ?

Et encore, Conrad parle là d'une époque et de la transformation d'un monde où un marin était un marin. Parce que l'un des nombreux souvenirs que j'ai de mes dix ans de marine marchande (française), c'est que lorsqu'on veut vraiment déprécier un marin, on le traite souvent de Philippin. Il y a probablement de bons marins aux Philippines mais comme on les retrouve souvent à naviguer sous des pavillons de complaisance, payés au lance-pierres par des armateurs d'opérette, on suppose qu'il y a là un problème et non une chance pour le consommateur de passer une semaine en Méditérannée pour 1200 € tout compris (tarif du Concordia).

Enfin, si l'on veut voir en film ce dont parle Conrad, n'allez pas (re)voir Titanic mais le dernier film de Jean-Luc Godard - Film Socialisme -dont une bonne partie est tournée à bord du pauvre Concordia.

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