C'est d'une voix quasi-mourante qu'un jeune caissier en manque de petite monnaie appelait l'autre jour une jeune caissière dans un supermarché de la Via Tiburtina. - Anna... Anna... Aux deux suivants, le second "a" fut inaudible - Ann... Ann... Au cinquième, le premier "A" se fit soupir, au sixième, il n'y eut plus le moindre souffle de conviction dans le filet d'air qui s'échappa de ses narines. Sa main droite (avec mon billet de cinquante euros plié en deux entre l'index et le majeur) referma en silence le couvercle de caisse après une chute interminable ponctuée par une seconde chute (mais sans appel) de ses paupières complètement résignées. Pris entre ce que je pensai (mais sans savoir pourquoi) - Ça c'est vraiment Rome - et l'élan de me muer en Gepetto et de redonner vie à ce jeune Romain soudain de bois sec en cherchant de la monnaie dans mon portefeuille, je ne pus me décider et lui tendis ma carte visa en récupérant mon billet.
- Perchè non mi l'ha detto subito ? / Pourquoi vous ne me l'avez pas dit tout de suite. É sorda / Elle est sourde. Non lo sà ? Vous ne le savez pas ?
- No, non lo sapevo, scusi. / Non, je ne le savais pas. Excusez-moi.
- Adesso lo sà / Maintenant, vous le savez.
- Ma se è sorda, perchè la chiama ? / Mais si elle sourde, pourquoi vous l’appelez ?
- E perchè nò ? Se non succede un’miracolo quì a Roma, dove può succedere ? Et pourquoi pas ? Si une miracle ne peut se faire ici à Rome, où peut-il se faire ?