Le roi de Rome est fou. Ou du moins prétend l’être. Celui à qui l’on attribue ce glorieux statut dans la Ville éternelle n’est cependant pas un descendant oublié de la Maison des Savoie déambulant en cravate fleurie, mocassins Tod’s et cheveux dans le cou au cœur des nuits de la Grande Bellezza. Non, il s’agit d’un homme qui, d’après ce qu’on en lit dans la presse, apparaît à beaucoup comme arrogant, menteur, infantile, élégant et dont le domaine d’activités – la criminalité organisée - est parfois sujet à de nombreuses controverses intellectuelles. Activité coupable, incorrection sociale ou discipline esthétique ? Le débat n’est pas vain. Car si l’on parvenait à classer l’activité de ce roi dans l’une de ces catégories, il est probable que sa susceptibilité (très exacerbée, dit-on aussi) et sa passion pour... la psychiatrie moderne s’en trouveraient comme apaisées. Étant en effet tenu pour responsable du refroidissement rapide d’un très grand nombre de corps humains, voire de leur découpe et de leur répartition dans divers bains d’acide, de fonte en fusion ou de béton liquide, il serait peut-être opportun de reconnaître dignité (qui reste à définir, bien sûr) à l’un des principaux producteurs italiens d’une telle quantité de matière assassinée et de lui confier, par exemple, le projet de fonder une corporation dont la devise serait « Trêve de bavardage, des actes ! ». C’est peut-être en le vouant ainsi à une activité reconnue dans un cadre légal qu’il pourrait se détourner de son sujet d’étude principal – j’y reviens, vous aviez bien lu: la psychiatrie moderne. Et risquer ainsi de présenter en la matière des lacunes que pourraient exploiter les contre - experts chargés de prouver régulièrement depuis des années que ce roi n’est pas fou. Car si l’on dit ce roi fou, c’est parce qu’il prétend, comme je vous le disais d’emblée, souvent l’être et cela, à des fins bien sûr faciles à deviner. On vivrait mieux en hôpital psychiatrique ou chez soi (pour raisons de santé) qu’en quartier de haute sécurité. Le dernier article de La Repubblica qui nous en parle nous apprend que sur le sujet de la psychiatrie – ses évolutions, ses courants et contre-courants, ses rapports avec le juridique… etc… - le roi et ses avocats sont incollables. Mais à lire entre les lignes ces articles de presse où alternent compte-rendu d’audience, témoignages de proches, de repentis et de psychiatres, me revient en mémoire ce que Marguerite Duras racontait au sujet d’un couple qui avait eu un enfant psychotique. M.D. disait que ces deux parents, honteux de leur enfant, avaient passé des années à lui apprendre un tas de choses utiles pour se comporter correctement et ne rien laisser paraître de sa santé mentale. L’enfant avait ingurgité des sommes de données colossales et pouvait même quasiment briller en société. Parler de choses et d’autres avec toutes sortes de gens, feindre de s’intéresser à tout, fumer et manger avec élégance… etc… Mais ce qu’ils n’avaient pas réussi à lui apprendre, ça avait été de danser, et surtout de danser en rythme. Et cela s’était révélé, non seulement impossible, mais il paraît que chaque tentative l’enrageait à un point qu’ils avaient dû finalement renoncer. Lisant donc La Repubblica, je me demandais si les experts, chargés de faire tomber le masque de fou du roi, lui posaient des questions déroutantes. Supposons l’Italien tel qu’on le dit : d’un côté, friand d’argent, de belles voitures et de jolies filles, costumes sur mesure, cliniques de luxe, tombes baroques… etc… et de l’autre, ombrageux, querelleur, morose. Bien que cela semble tout de même un peu vague, il y a peut-être là de quoi imaginer des questions qui sortiraient un peu de l’ordinaire. Préfèreriez-vous apprendre une mauvaise nouvelle dans une Ferrari ou dans un véhicule utilitaire ? Si cette mauvaise nouvelle vous arrachait une ou deux larmes, préfèreriez-vous pleurer dans votre avion privé entouré de tableaux de maître ou dans un kebab-pizzeria devant un poster de la Tour de Pise ? Autoriseriez-vous un de vos enfants à être mélancolique en autobus ?... Puis des questions engendrées par les angoisses liées à la pollution, par le désespoir sanitaire, par les frustrations ferroviaires en Sicile… etc… Et pourquoi pas lui soutenir qu’après maintes recherches, il est désormais avéré que dans une vie antérieure, trois de ses cousins germains (chargés depuis des années d’ouvrir grand leurs manteaux pour dissimuler certains de ses agissements) étaient de brillants chevaux, spécialisés dans le trot et que les trois considèrent unanimement cette lointaine existence comme la plus heureuse qu’ils aient connue… etc… Mais s’il ne paraît plus guère douteux aujourd’hui que les troubles caractériels qui poussent certains individus à en assassiner d’autres sont à mettre obligatoirement en rapport avec des enfances malheureuses, l’hostilité des bien-pensants et des manifestations de rejet de toutes natures, je propose qu’à ma prochaine entrée, l’on crie – Toto ! – et à ma prochaine sortie – Patate !
Billet de blog 21 janvier 2015
Le roi de Rome est fou
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