Très beau moment hier soir à Rome. C’était au Piccolo America ou Cinema America Occupato. Un ancien grand cinéma sauvé de l’abandon et de la spéculation immobilière par une bande de jeunes gens dans le quartier (central et donc très convoîté) du Trastevere. Après y être entrés illégalement le 13 novembre 2012, ils y ont inventé une foule d’actions culturelles et artistiques ouvertes à tous, ont restauré de leurs propres mains, et sans d’autre sou que ceux de leur système D., tout le bâtiment en luttant sans relâche pour légaliser leur entreprise.
On y présentait hier soir, dans une petite salle qui jouxte la grande, le film de Francesco Rosi « Il Caso Mattei ». Chaises, bancs, beaucoup de monde, assis, debout et, devant nous, treize filles et garçons de quinze à vingt-cinq ans. Un premier parle, puis un autre, puis encore un et avec ce qu’ils se mettent à nous raconter, on se dit que tous vont parler. Et toutes et tous, sans exception, prendront la parole. Pour nous dire quoi ? Eh bien – qu’en cinéma (comme en beaucoup d’autres domaines), ils n’y connaissent pas grand-chose, mais qu’ils ont rencontré l’an passé Francesco Rosi et que cette rencontre les a bouleversés et renforcés dans leurs actions. Que s’est-il passé ? Ce que chacun a tenu à dire, souvent à demi-mots et parfois en rougissant, c’est que voir les films de Rosi leur a été d’un grand enseignement. Qu’un film comme « Main basse sur la Ville » ne pouvait pas ne pas leur parler, mais surtout et avant tout que ce vieillard, lucide, vivant, avec la niaque d’un diciotenne / un jeune de dix-huit ans, leur a transmis par son engagement spontané à leurs côtés une puissance de vie et de travail exceptionnelle. Ça, ils n’en reviennent toujours pas. La disparition récente de Rosi (10 janvier dernier) les a touché bien sûr. Mais d‘après leurs témoignages, on comprend (je me répète, je le sais mais j’insiste) que leur rencontre avec lui a été d’une intensité et d’un enseignement si capital qu’ils en parlent et en parleront longtemps (je crois) au présent. Ils en ont parlé près d’une heure. Ils tenaient à dire aussi comment Rosi était toujours « très simple, très concret » avec eux. Jamais dans la posture du donneur de leçons, du vieux sage… etc… Mais toujours dans le questionnement, le doute et sopratutto dans la bonne humeur. Des gens intervenaient, relançaient, ça rigolait pas mal et à les voir, là, tous les treize, très ému moi aussi comme beaucoup d’autres, je riais aussi de penser à la Cène et je m’attendais à voir la porte de la salle s’ouvrir sur le retour de Rosi, fringant et souriant.Si ce vieux Rosi de quatre-vingt douze ans, leur a donc tant donné, ce que moi je peux dire ce matin à mon tour, c’est que ces jeunes gens m’ont donné hier soir – contrairement à toutes les conneries qu’on entend sur le supposé décervellement « des jeunes » - une leçon de travail et de vie que je ne suis pas près d’oublier.
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