Mardi 10 mai, Un enfant, une barbe, la Chine

Si vous avez un enfant en bas âge ou une barbe, vous pourrez constater aisément que The times, they are changing et à grande vitesse. L'espérance de vie d'un jouet fabriqué en Chine est de une à huit semaines. Un fabriqué en France ou en Allemagne (ce qui est très rare), cinq à quinze ans. Évidemment, le jouet chinois coûte deux à cinq fois moins cher que le français ou l'allemand. Et mille millions de chambres d'enfants croulent sous ces jouets de trois fois rien fabriqués le plus souvent par les esclaves de notre temps. Si vous êtes barbu(e), que vous vivez à Paris et que vous souhaitez soigner votre barbe comme jamais, trottinez tranquillement jusqu'au 58 rue de Clichy chez Planète Rasoir, maison (très sérieuse) fondée en 1966 par le père de l'actuel propriétaire qui est à la barbe ce que B.H.L ne sera jamais à la philosophie: un grand seigneur. Vieux parquet, cuivres et vitrines anciennes, fauteuils et canapés anglais, troupeaux de blaireaux aux innombrables nuances de poils et de manches, des rasoirs comme s'il en pleuvait, des savons des Indes et des Amériques, un feu d'artifice de sels et de bains aux senteurs envoûtantes, des trousses de toilette de toutes le couleurs, des miroirs loupes en veux-tu en voilà... et des tondeuses, vous en voulez des tondeuses ? À barbe, à cheveux, pour les aisselles, les mollets, les cuisses... et j'en passe. Tout semble nous annoncer que nous sommes ici au beau milieu de l'héritage d'un savoir accumulé par une communauté de gens qui ont dû vouer une bonne part de leur vie à apprivoiser et à dompter le poil humain. Et, au beau milieu de ce décor, de ce musée pourrait-on dire, un homme vous accueille, regard franc, sourire, et se dispose entièrement à vous écouter. Parlons-lui tondeuse. Il commence par les allemandes car dit-il, Vous ferez là le choix de ce qui dure (tiens, tiens...). Puis les hollandaises, les américaines, une italienne, une espagnole... il les connaît par coeur, vous les montre, les démonte, les remonte... et au fil du dialogue qu'il nouera avec vous (non comme comme les camelots qui soliloquent sur les trottoirs des grands magasins parisiens) vous apprendrez probablement des mots nouveaux, peut-être même une nouvelle nomenclature que vous vous soucierez peut-être de mémoriser si vous tenez à ce que des choses cessent un instant de défiler sous vos yeux. Et libre d'intervenir quand bon vous semble, vous lui poserez peut-être la question que je lui ai posée avant-hier. Mais elles sont fabriquées où, ces tondeuses ? Les allemandes en Allemagne, m'a t-il répondu, sourcils froncés et regard pénétrant (Goethe à Weimar). Je vous les garantis dix ans, vous les aurez encore dans vingt. Toutes les autres, en Chine, a t-il ajouté dans un demi-sourire. Et bien qu'elles coûtent aussi cher, je ne peux rien vous garantir. Et contrairement aux allemandes, si vous cassez une pièce, elle sera irremplaçable. Remontant la rue de Clichy vers la place du même nom par ce beau soleil de juillet en mai, je pensais à ces centaines de millions d'esclaves asiatiques qui se livrent, pendant parfois des années, à la fabrication d'objets morts-nés.