Vous avez lu à vingt ans le livre de Dominique Fernandez, Porporino ou les mystères de Naples, biographie admirablement romancée du dernier castrat napolitain. Naples est une ville dont vous avez toujours entendu parler (on ne peut pas y échapper) - Antiquité, volcans, Pompéi, Baroque, tremblements de terre, Totò, Maradonna, De Filippo, Camorra, Opéra, cinéma, Bel Canto... Vous avez longtemps rêvé d'y aller et vous y débarquez enfin, vingt, trente ans plus tard. Vous commencez par vous disputer avec le chauffeur de taxi qui refuse d'allumer son compteur et vous largue immédiatement en essayant de vous extorquer dix euros. L'envoyer se faire voir chez les Grecs en lui en en donnant deux vous soulage mais vous êtes à la rue - des enfants obèses, du bruit, des ordures et un rat. Le thermomètre frôle les 40, la ville vous saute à la figure. Vous cherchez pendant plusieurs jours comment vous y tenir. Marcher, flâner, arpenter, sillonner, se promener... vous transforme très vite en un bouchon de liège trempé et charrié par des flux incessants de foules incompréhensibles. Vous traquez l'ombre et les courants d'air du matin au soir. Vous découvrez que s'extraire du flux pour le regarder d'un banc près d'une fontaine vous apaise. La ville vous tourne autour. Vous recommencez à respirer. Le désir de voir de belles choses vous prend. Les rues de Naples en regorgent. Ses églises aussi, ses musées, pareil. Celui d'archéologie est l'un des plus importants du monde. Vous lui consacrez une demi-journée. Vous quittez l'étage dédié à la mosaïque romaine d'autant plus secoué que vous n'imaginiez pas que l'on pût créer de si belles choses dans cette discipline. Mais pour la peinture antique, vous êtes prêt, vous en avez vu des reproductions, vous vous réjouissez à l'avance, vous entrez dans les premières salles, les yeux grands ouverts, les sens en éveil, et en veux-tu en voilà - jardins enchantés, portraits, intérieurs domestiques, combats guerriers, sodomies... vous en prenez plein la vue quand un tout petit et très vieux gardien boiteux au cheveu rare et gras déclame en napolitain qu'il va fermer ces salles et qu'il faut partir au plus vite. Des allemandes obéissent, des américains s'interrogent, un espagnol le photographie, des français rouspètent - Ben merde alors, ce n'est mentionné nulle part, il n'est même pas deux heures ! Au vol, je tente une question:
- Ma perchè si chiude ? / Mais pourquoi ça ferme ?
- Ho fame ! Ho fame ! Vado a pranzo ! / J'ai faim... ! Je vais manger !