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Billet de blog 26 avril 2011

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Mardi 19 avril, Le mystère de la rue des Dames

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Au 7 de la rue des Dames, à Paris, le mystère reste entier. Entre une boucherie d'avant guerre et un vieux marchand de vin, un restaurant indien vient d'ouvrir. Suspense ! Et pourquoi, Suspense ? Parce qu'en douze ans, il s'agit probablement du dixième restaurant qui s'installe à cet emplacement. Nous avons vu là un restaurant antillais, un savoyard, un brésilien, un gastronomique, un tunisien, un étoilé... mais aucun n'a tenu longtemps. Que se passe-t-il donc, précisément à cet endroit-là ? La boucherie ne désemplit pas, le marchand de vin, pareil. À cinq mètres en face, un café restaurant bête à pleurer refuse du monde midi et soir. Cette partie de la rue des Dames grouille d'un monde bigarré nuit et jour. Des milliers de gens de tous les continents passent par là à longueur de temps et les salles de ces restaurants qui ont tenté là leur chance demeurent désespérément vides. J'avais essayé le Savoyard. Un samedi soir. Seul. Et la fondue savoyarde, déjà à deux, ce n'est pas drôle, mais alors tout seul dans une salle déserte avec Radio Fun, face à une rue pleine de vie, c'est un coup à rentrer au pays dans un état propre à inquiéter votre garde champêtre. Hier soir, du trottoir d'en face, j'observais l'intérieur - décoré bien sûr, à l'indienne. Un homme (indien) avachi à la caisse. Près de lui, une femme (indienne) d'une soixantaine d'années et une jeune (indienne) dans des costumes vaguement traditionnels. Personne à table ! On pourrait logiquement penser que ce lieu doit donc être pour une poignée de gens (plus ou moins restaurateurs) le lieu d'un échec. Mais, en même temps, on a beau savoir que l'homme est un loup pour l'homme, il est tout de même étrange qu'aucune des personnes qui a renoncé n'a prévenu la suivante de l'ingratitude de cet espace. Parce que si vous souhaitez décrocher de là votre toque, que vous savez que dix autres avant vous s'y sont cassé les dents et que vous n'en pipez mot au suivant, j'ai beau avoir de la sympathie pour les antipathiques, vous n'êtes pas très... disons fair-play. Bon, un tordu, d'accord, deux, pourquoi pas, trois, ça commence à faire peur... (philosophe, vous pourriez vous dire qu'il se joue là, à petite échelle, une pulsion de mort à l'oeuvre à l'échelon de notre société qui a cherché, en quinze ans, à se donner comme chefs d'état, Jacques Chirac, Jean-Marie Le Pen et Nicolas Sarkozy). On peut aussi se prendre à rêver que tous les gens qui se sont succédés là sont liés par une histoire plus claire et plus concrète qu'une grande partie des relations qui s'établissent entre humains mais qu'ils ne se rencontreront probablement jamais. On pourrait ainsi se lancer dans la recherche de ces gens, les retrouver, les réunir - pourquoi pas dans ce lieu. Mais on pourrait alors découvrir qu'aucun d'eux n'est restaurateur, qu'il s'agit de gens qui se connaissent tous, peut-être des artistes contemporains qui expérimentent là un concept qui vous échappe. Peut-être une société secrète... chère à Jacques Rivette. Mais enfin, puis que le mystère demeure, que le suspense reste entier et que Rivette rôde, souvenons-nous de l'anecdote célèbre de Sir Alfred Hitchcock qui racontait qu'un jour se promenant dans la campagne hollandaise, il avait remarqué que les ailes d'un moulin ne tournaient pas dans le même sens que les autres et qu'il y avait là pour lui, le premier signe d'une intrigue criminelle. Et voilà, on en revient toujours aux artistes dont les oeuvres nous aident à penser. Dont nous pouvons penser avec elles ce qui nous arrive, ce qui se passe, l'Histoire, les histoires, le monde et la vie.

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