Vendredi 10 juin, Un archetier en bas de chez vous

Je n'aurais jamais cru qu'il est aussi rassurant d'avoir un archetier près de chez soi. J'en ai deux. Ils travaillent ensemble et croyez-moi, ça fait du bien. Parfois, dans des journées où quelques événements mineurs me plongent dans des fureurs abstraites, je les oublie, je sors prendre l'air et ils sont là... ouf, je respire. À chacun de mes passages, je les aperçois et, comme il suffisait à un certain jeune Marcel P. de saisir un seul instant fugitif de la prestation d'une grande tragédienne ou d'un grand danseur pour s'en faire une très haute idée, le seul dessin de leurs silhouettes m'indique qu'ils sont concentrés, méticuleux, doux, et oui, ça me calme immédiatement. Leur petite échoppe se trouve au début de la rue Truffaut (Paris). Coincée entre Cris et chuchotements (le dernier club S.M de Paris, selon Catherine Robbe-Grillet qui prétend y officier encore de temps à autre malgré son grand âge) et un chauffagiste. Ils sont jeunes (trente, quarante ans) mais habillés comme avant. Pantalon de velours, manches de chemise retroussées et gilet de travail (nombreuses poches), casquettes pour sortir. On pense aux ouvriers du cinéma néo-réaliste italien. Mais enfin, un archetier, qu'est-ce que c'est exactement (me suis-je exclamé un soir dans mon bain) ? Dans archetier, il y a "archet"(comme dirait J.L.G). J'ai remarqué que quelques musiciens en ont besoin pour leurs instruments (quelle perspicacité !) mais, en en même temps, je n'avais jamais pensé que leur fabrication ou leur entretien nécessitât l'exercice d'une pratique particulière, voire la connaissance et la maîtrise de l'héritage d'un savoir accumulé par une civilisation à travers toute l'histoire de sa musique. Enfin bref, j'aurais toujours spontanément dit que l'archet d'un violon, c'est l'affaire du fabricant de violons. Or non (si vous me suivez bien). Je le leur ai demandé. Ils sont en effet doux mais fermes. Peu enclins à satisfaire la curiosité de gens vaguement curieux (aussi ai-je tenté de paraître sérieux). Eh bien, ils en fabriquent, ils en réparent et leurs clients sont français, allemands, anglais... un violoncelliste argentin ne jure que par eux, un américain ne remettrait ses archets en aucune autre main que les leurs... il est donc à peu près certain que nous avons affaire là à des garçons hautement estimés et compétents qui n'ont donc pas à souffrir de l'emplacement de leur atelier dans une rue peu passante et qui, de surcroît, est exposé au nord. L'autre matin, tandis qu'ils ouvraient en compagnie d'une belle jeune femme et d'une contrebasse, un vieux couple est sorti de Cris et chuchotements. Lui en béquilles, soutenu par elle, bras en écharpe.