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Billet de blog 27 janvier 2011

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Lundi 24 janvier, Les copains d'abord aux Batignolles

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Des coiffeurs aux Batignolles (Paris), il y en a dans toutes les rues. Les opticiens pareil, les pharmacies, on n'en parle même pas, les banques, les nouveaux bars qui en sont de vieux, refaits, ravalés, liftés, lissés, colorés et qui semblent tous concourir pour la palme du toc et du laid, on ne sait plus comment les éviter, les boutiques de superflu, c'est en veux-tu, en voilà, mais les coiffeurs, c'est la jungle. Les franchisés y sont tous. Avec leurs légions de jeunes femmes blondes bouclées, brunes lissées, parachutées pour quelques semaines, quelques mois et avec leurs catalogues de (jeunes) modèles souriants. En dehors de se faire masser le cuir par de petites mains nerveuses, ce qu'il y a de vraiment touchant dans ces espaces publicitaires, c'est leur tentative de créer du lien avec un client qu'elles n'ont jamais vu et qu'elles ne reverront probablement plus jamais. Quand on vous propose de "patienter un instant" (car on vous y reçoit généralement sans rendez-vous), en vous tendant Gala ou Paris-Match, vous en avez les larmes aux yeux. Écrans plats of course, clips assourdissants à gogo, tondeuses, vous êtes dehors quinze à vingt minutes plus tard au mieux, des courants d'air plein les oreilles, la nuque au vent. Certains se vantent bien entendu d'être présents dans toute la France, d'autres dans toute l'Europe, d'autres encore d'avoir ouvert dernièrement sur la 5è Avenue ou à Oman. Les coiffeurs à leur compte sont aussi fort nombreux. Des vieux de la vieille qui consentent volontiers à laisser un moment leur journal pour discuter de choses et d'autres en vous raccourcissant la frange, le pourtour des lobes et le haut du dos. Des "Pas encore vieux" du point de vue des rides, des battements de cil et des dents, avec leurs impénétrables réseaux de femmes mûres désoeuvrées. Bien que faisant partie du décor, leur disparition ne serait déplorée que par leurs clientes qui seraient bien en peine de (re) trouver de nos jours ces fameux "coiffeurs pour dames" qui n'ont jamais prétendu couvrir l'Europe mais, disons, au moins le 17è arrondissement.

Habitant des Batignolles depuis bientôt vingt ans, mes élans sans joie pour de beaux yeux ayant ricoché deux ou trois fois (tout au plus) vers telle ou telle enseigne, et après les avoir (sans exception) toutes essayé, je me demande encore pourquoi je n'avais jamais remarqué celle du salon de Bob, "Les copains d'abord" au 95 de la célèbre rue Nollet où ont vécu (entre autres) Verlaine, Max Jacob, Gilles Deleuze (à l'angle de la rue de Bizerte), Henry Miller, Yves Klein ou encore la grand-mère de Jean Eustache - voir son film "Numéro zéro", "un des plus grands films d'histoire de France" selon Jean-Marie Straub qui vit, lui, à trois pas de là et qui soliloque en ce moment tous les soirs, assis devant un café, à l'angle des rues Cavalotti et Ganneron. L'enseigne (trentenaire) est donc une belle chanson et aller chez Bob, c'est entrer dans la (bonne) musique et dans l'histoire du quartier. Son salon - qui tient à la fois du vrai salon de coiffure (vrais vieux fauteuils, beaux miroirs sobres, outils en vue, pas de para-coiffure), d'une chambre d'adolescent, d'un club d'amateurs de Rolls-Royce, d'un refuge de montagne (montagnard aguerri, Bob est intarissable sur le sujet), d'une cabine de chauffeur routier ou de marin au long cours, d'un vestiaire de foot, de rugby ou de tennis, d'un sanctuaire du 7è art (vous y serez coiffé sous d'innombrables portraits des artistes les plus remarquables), d'une loge de concierge, d'un speak easy (on vous y offre toujours un verre et pas que du jus de pomme), d'un lupanar, d'une garderie (mon fils y passerait des heures à dévorer des tas de BD), d'une agence de presse, de voyages ou de mode (vous pouvez y lire les meilleurs quotidiens et de très bonnes revues), d'un musée de la figurine, d'un barber de Brooklyn... - son salon ne désemplit jamais. Que vous ayez trois ou quatre-vingt dix ans et d'où que vous veniez, Bob et ses associés successifs (toujours des garçons fins et doués) vous reçoivent amicalement et sans chichis. On ne vous y propose bien sûr pas du tout cuit mais on vous y écoute, on vous y regarde, on vous y voit et on y cherche, avec vous, à découvrir ce qui vous plaira jusque dans des détails dont vous ne soupçonniez même pas l'importance et cela pour à peine plus de vingt euros. Vous en ressortirez un bon (et beau) moment après y être entré car (très bien) coiffer, ça prend du temps - ici, une bonne demi-heure en moyenne, et vous y aurez certainement rencontré une belle personne (garçon , fille, homme, femme) avec qui parler ou pris du temps pour lire et pour rêver.

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